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LES DÉFIS DE LA DIGITALISATION ET LA DÉCARBONISATION

Mustapha El khayat

Président de l’AMLOG, Vice-président de la FAAL

De nos jours le commerce international est fondé presque  exclusivement sur des réseaux télématiques qui ont densifiés et accélérés les flux d’information d’une manière impressionnante. En effet, être compétitif au niveau des délais et de la qualité est un aspect majeur des stratégies de mondialisation adoptées par les firmes pour faire face à la concurrence. Dans ces conditions, il est impératif de recueillir et de traiter l’information et d’agir en conséquence rapidement sur le processus de production et de distribution. Ces manœuvres stratégiques sont rendues possibles principalement grâce à l’émergence des Technologies de l’information et de la communication et à leur application à l’ensemble de la chaîne de production et de distribution. Ces technologies ont donné naissance à des formes nouvelles d’organisation et de relations interfirmes, créant des réseaux et alliances stratégiques entre les grandes firmes à l’échelle mondiale.

Les systèmes de production informatisés peuvent être reliés, ce qui permet de changer rapidement d’outils et de matériaux et d’organiser plus facilement la sous-traitance entre un grand nombre d’entreprises.

Ces nouvelles La digitalisation engendre de nouveaux facteurs d’avantages comparatifs qui remettent en cause les facteurs traditionnels des pays émergents, à savoir le faible coût de la main d’œuvre et des matières premières. Ces avantages comparatifs nouveaux comprennent, entre autres éléments clefs, la logistique.

Cette dernière devrait être considérée comme un élément stratégique afin de rendre les pays émergents moins vulnérables en cas de variation d’un élément de coût, en particulier le coût de la main d’œuvre ou le prix des matières premières. La logistique consiste à déterminer quand, où et comment une opération doit intervenir dans l’ensemble du système de production distribution. Les chaînes logistiques, déjà structurellement complexes, doivent, pour répondre à la mondialisation, s’appuyer sur des chaînes de transport qui mobilisent de très nombreux opérateurs. Notons que les échanges internationaux interviennent non seulement avant et après la production, mais aussi durant tout le processus de production. A ce niveau, les chaînes de transport doivent jouer un rôle très particulier. Outre les exigences de rapidité, de sécurité, etc., la fiabilité des temps de livraison et la fréquence des dessertes sont d’une importance fondamentale. Par conséquent, un système d’information et de communication efficace est essentiel. Dans cette logique, ce qui compte pour le chargeur, c’est la chaîne de transport totale ou intégrée.

Toutes les opérations, depuis la matière première jusqu’au produit fini, sont intégrées dans un réseau unique. Dans l’organisation des mouvements de marchandises au sein de ce réseau, seuls entrent en ligne de compte le coût et efficacité de la chaîne intégrée de transport/distribution. Le passage portuaire, véritable interface et lieu d’articulation entre les différents systèmes de transport (rupture de charge entre le transport terrestre et maritime), est naturellement un lieu de convergence de nombreux flux d’information. Il constitue aussi un lieu d’innovation et de développement simultanés de la digitalisation. Le chargeur encourage ou oblige les opérateurs de transport dans leur ensemble à s’engager dans un processus d’innovation technologique accéléré, en particulier en ce qui concerne le maillon le plus stratégique par exemple le passage portuaire.

Soulignons que pour le commerce mondial, les ports deviennent les interfaces les plus étendues et les plus importantes entre les modes de transport. C’est là que sont installés tous les opérateurs : chargeurs, transitaires, armateurs, consignataires, responsables de la distribution des marchandises, entreprises de transformation et de conditionnement des produits, entreprises de transport terrestre, douanes, banques, assurances, etc. Les ports modernes sont donc d’importants centres d’information. Dans le passé, un port était surtout apprécié pour la qualité de son infrastructure et de ses services ; aujourd’hui, en sus, ce qui fait la différence aux yeux des opérateurs, c’est sa capacité de traitement et de distribution de l’information ou infostructure1. Ces nouvelles exigences impliquent la mise en place de systèmes d’Echanges de Données Informatisées(EDI) . Il faut noter qu’il est impératif de ne pas confondre informatisation et EDI. L’EDI est un système permettant d’échanger des données structurées d’un ordinateur à un autre à l’aide d’un progiciel de communication capable de répartir et de faire circuler l’information entre tous les opérateurs. 

Les années 90 voient s’amorcer une approche plus globale dans le cadre des stratégies de globalisation (réduction en temps des distances et accessibilité accrue aux marchés internationaux). Il en découle une concurrence exacerbée à plusieurs niveaux : qualité de service, livraison  « juste à temps » et efficacité administrative. C’est dans cette logique qu’au niveau portuaire les efforts ont surtout porté sur la recherche de l’amélioration de la logistique et sur le développement de l’EDI. Le passage portuaire, maillon central du commerce international et de la chaîne de transport, représente une séquence à la fois technique (réalisation des escales et du traitement des marchandises) et organisationnelle (capacité à traiter et communiquer de l’information sur la circulation des marchandises et des moyens de transport : navires, camions, trains…). Les échanges d’information et de documents entre professionnels portuaires lors du passage de marchandises par le port sont complexes la nécessité pour les ports de réaliser la transparence du passage portuaire afin d’offrir un service répondant aux exigences des chargeurs et de tous les opérateurs des chaînes. Cette transparence du passage portuaire nécessite de la part des émergents un effort de développement de systèmes d’information destinés à accélérer les flux d’information échangés lors du passage de marchandises. Cela se traduit par l’émergence grandissante de l’EDI.

Dans les pays émergents qui sont relativement avancés au niveau de l’informatisation du passage portuaire, les développements et projets informatiques sont nombreux chez les opérateurs, mais manquent de coordination à l’échelle locale. En outre, ces pays ne participent pas effectivement à l’orientation des décisions internationales en vue d’obtenir la garantie que leurs intérêts soient pris en compte par la normalisation internationale d’EDI. Enfin, ils sont souvent absents des sphères existantes de diffusion d’information sur les travaux de normalisation. Les standards internationaux normalisés pour l’échange de données dans les transports et le commerce international semblent être la seule solution qui permette le développement d’interfaces généralisables à terme, de manière indépendante des matériels et des réseaux de télécommunications utilisés. Les Nations Unies ont proposé UN/edifact qui a été approuvé par l’iso (International Standards Organization). EDIFACT est un langage commun qui permet de faciliter les procédures du commerce international et de limiter les prédominances. Les enjeux de la normalisation de l’EDI sont apparemment simples, mais lourds de conséquences sur les passages portuaires des pays du Sud. Il devient donc vital de créer une communauté portuaire ; elle peut être locale, régionale, administrative, politique, voire seulement technique. Celle-ci devrait maîtriser les circuits d’information et prévoir l’ouverture de ses systèmes informatiques à tous les opérateurs en participant pleinement à la définition et à l’expérimentation de la normalisation internationale EDIFACT. Dans ce sens, la communauté portuaire sera amenée à construire un réseau d’information tenant compte de l’ensemble de la chaîne de transport, et consolidera par là même sa vocation de lieu de  passage obligé des chaînes de transport internationales. Une fois surmontés les obstacles actuels à l’EDI par l’adoption d’un standard unique et commun de communication (EDIFACT), et par le développement de logiciels d’interface entre différents systèmes informatiques, il ne fait aucun doute que l’EDI s’étendra par vagues successives à toute la chaîne de transport et de distribution sous l’impulsion de ses promoteurs, à savoir les grandes entreprises (chargeurs, armateurs, industriels, communautés portuaires) et les pays développés. 

Les divers outils de la digitalisation maritime :  La digitalisation est devenue une réalité du commerce maritime international. Le Covid19 l’a accéléré et non le déterminant de son existence. Nous pouvons citer les diverses innovations et technologies qui se sont développées dans le monde maritime et auxquelles s’insèrent les pays émergents qui veulent renforcer leurs présences à l’échelle mondiale. La simplification documentaire, a poussé les professionnels portuaires à mettre en place des systèmes d’information (SI) permettant de simplifier leur travail notamment pour la conteneurisation. Sous le nom de Cargo community système (CCS) sont reliés les intervenants (transitaires, agents, armateurs, manutentionnaires, groupeurs, transporteurs terrestres, les administrations publiques : douanes, autorités portuaires, services vétérinaires et phytosanitaires) de la chaîne logistique & portuaire autour des flux d’information liés à la marchandise.

 Les ports ont pu développer un concept élargi baptisé Port community system étendant à d’autres acteurs les échanges d’information intelligents et sécurisés liés à l’escale du navire. Le développement des guichets uniques, sous l’égide d’une directive européenne de 2010  vise ainsi à consolider l’ensemble des documents réglementaires liés aux navires, aux marchandises (liaison avec le CCS), aux navigants, aux passagers. La coopération entre acteurs publics et privés, passe par les outils que sont les CCS et les PCS. Le passage portuaire sous le signe de la digitalisation a été l’occasion de développer les processus de tracing & tracking (tracer et suivre) Les processus digitaux ont été naturellement mis au service de la sécurisation de la chaîne logistique des conteneurs lorsqu’elle est devenue une obligation après le 11 septembre 2001. 

La digitalisation s’applique notamment au Connaissement électronique. Plusieurs méga carriers ont émis des connaissements électroniques même si le problème juridique reste posé. De même l’utilisation  de la digitalisation entre opérateurs de transport international se développe  comme en  témoigne la mise en place d’un service de réservation en ligne des conteneurs, sans intermédiaire.

 Le navire est devenu un objet traçable avec l’apport des technologiques satellitaires.

–  Mis en place dans les années quatre-vingt-dix et généralisé par une annexe SOLAS ( Automatic Identification System VTS ,Vessel Traffic Services ( VTS), VTMIS (Vessel Traffic Management and Information services),

– Le routing est au service de l’efficience de la navigation avec l’utilisation dynamique de la météo et des courants océaniques.

– Le monitoring repose sur l’évaluation en temps réel des systèmes physiques par des capteurs et censeurs transmettant de informations. Il est un outil de performance et l’optimisation pour le bord du navire, mais aussi pour des acteurs à terre. Ce rôle s’incarne maintenant dans le fleet center mis en place par quelques armateurs.

 Dans un autre domaine, la cybersécurité ne manque pas de rappeler la variété des agressions que peut subir n’importe quel système d’échange de données.. Cette digitalisation est vulnérable à la piraterie La question de la vulnérabilité implique des politiques publiques et privées pour face aux risques 

 Les enjeux de la pollution et la question décarbonisation :

La croissance de la demande de mobilité apparaît comme une tendance lourde de nos jours , même si les incertitudes liées à la crise du Covid 19 peuvent affecter cette tendance ou la  déformer au profit de certains types de mobilités. Les transports ont donc un rôle de premier plan à jouer dans cette transformation. Le secteur des transports est au cœur des politiques publiques de transition écologique. Il s’agit notamment de répondre à l’augmentation de la demande de mobilité, qui concerne le monde entier, tout en proposant des solutions écologiques et compétitives. Enfin, la décarbonation des transports s’inscrit dans une priorité stratégique de souveraineté pour de nombreux Etats. 

Le levier de la décarbonation des vecteurs énergétiques ne permettra pas seul une décarbonation complète des transports internationaux. La maîtrise de la demande, le report multimodal  et l’intensification de l’utilisation des moyens de transports sont également des leviers importants de décarbonation des transports (en particulier le CO2 émis lors des phases de production des moyens de transport) et de maîtrise de la dépense énergétique des transports. Par ailleurs, la numérisation et l’automatisation doivent permettre l’émergence de nouveaux services, de nouvelles optimisations permettant notamment un renforcement de la compétitivité, une meilleure utilisation des capacités offertes par les infrastructures existantes, et une meilleure capacité de résilience face aux risques sanitaires et aux événements climatiques.

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