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L’éternelle transition fiscale

  • Abdelaziz Messaoudi
  • Ex haut cadre au ministère de l’économie et des finances
  • Enseignant chercheur à l’IAV Hassan II

Chaque année, il est déclaré que c’est la dernière des dernières. Mais l’occasion qui se répète devient habitude, et l’exception a tendance à devenir règle. Et le changement tant rêvé, espéré et attendu, s’éloigne.

En plus de l’instabilité fiscale, élément ne pouvant que perturber et impacter négativement l’environnement des affaires, la fréquence actuellement observée des amnisties fiscales, soit, en moyenne, une fois tous les deux à trois ans, au cours de la décennie 2010-2020, ne peut que saper la confiance des contribuables fiscalement réguliers et générer de la colère, voire de l’indignation, surtout chez les contribuables dont l’impôt est prélevé à la source.

Ainsi, en 2014, la loi de finances avait prévu une mesure pour inciter les contribuables résidant au Maroc à déclarer leurs avoirs à l’étranger, en échange d’une contribution libératoire sans risque de sanction fiscale. Cette mesure a permis de rapporter pour cette année un pactole budgétaire de 3,5 milliards de dirhams. En 2018, la même disposition a été reprise au profit des personnes physiques résidant au Maroc et de nationalité étrangère. La même année, a été prévue l’annulation des amendes, pénalités, majorations et frais de recouvrement pour les contribuables ayant une dette fiscale qui s’acquittent spontanément du principal avant le 1er janvier 2019. Pour les redevables uniquement d’amendes, pénalités, majorations et frais de recouvrement demeurés impayés jusqu’au 31 décembre 2017, ils pouvaient bénéficier de la réduction de 50% en s’acquittant des 50% restant, avant le 1er janvier 2019.

Cette année, le projet de loi de finances (PLF) de l’année 2020 a récidivé et prévoit au moins quatre mesures annonçant un nouveau « pardon fiscal ».

La première de ces mesures concerne les détenteurs de revenus fonciers ou revenus locatifs, zone bien connue comme étant une niche de fraude fiscale. D’après le contenu de la mesure proposée, les contribuables concernés devraient juste s’identifier fiscalement et s’acquitter spontanément de l’impôt au titre de l’année 2018, sans payer ni majorations ni amendes, et sans courir le risque d’être régularisés au titre des exercices fiscalement non prescrits. Pourtant, il y a juste quelques années, la durée de prescription pour les contribuables récalcitrants non identifiés fiscalement a été prolongée à 10 ans.

La deuxième mesure permet aux contribuables personnes morales et personnes physiques relevant du régime du résultat net réel (RNR) ou du régime du résultat net simplifié (RNS) de souscrire spontanément une déclaration rectificative au titre des exercices non prescrits (2016 à 2018), de verser en conséquence un complément d’impôt correspondant aux rectifications opérées, et de bénéficier d’une « prescription acquisitive », c’est-à-dire ne pas être vérifié au titre des exercices rectifiés. Ainsi, cette rectification donne un effet équivalent au contrôle fiscal.

La troisième mesure a été intitulée « Régularisation de la situation fiscale du contribuable ». Cette mesure concerne les contribuables disposant d’argent liquide ou espèces non déclaré. De l’argent qui dort profondément dans les coffres forts personnels ou est enfoui dans des matelas ou quelque part, bien en sécurité, à l’abri du regard du fisc. Eh bien, ces contribuables, d’après cette proposition, pourront déposer cet argent dans une banque qui devra procéder à un prélèvement au taux de 5%, au profit du Trésor public, avec la garantie de l’anonymat. Le fisc et les banques devront fermer les yeux, les oreilles et le nez. Le contribuable ne risque aucune régularisation fiscale au titre des sommes d’argent liquide déposées. C’est là un aspect exclusivement fiscal. La loi est muette quant à l’aspect pénal et judiciaire. Un grand point d’interrogation surgit quand on sait que les banques sont assujetties, en matière de lutte contre le blanchiment, à l’obligation de faire, sous peine de sanctions, des déclarations auprès de l’unité de traitement des renseignements financiers (UTRF).

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