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Les futurs métiers de l’économie circulaire, la voie pour une ville durable

Par Amine EL BOUZAIDI docteur chercheur en Aménagement de l’Espace et Développement Territorial.

La crise sanitaire actuelle a sans doute un impact sur nos habitudes de consommation et de production. En effet, les études ont démontré que le ralentissement des activités économiques à l’échelle planétaire s’est traduit par un progrès de nombreux indicateurs, notamment la qualité de l’air, la pollution des océans… une pause pour la planète pour récupérer son souffle. Le modèle économique actuel connait plusieurs enjeux environnementaux, économiques et sociaux. L’ONG Global Foot Print Network et le WWF disent qu’il faut l’équivalent d’une planète et demie de ressources pour fonctionner. En 2050, ce ratio sera multiplié par trois planètes. 20% de la population mondiale consomme 80% des ressources. Le zinc, le cuivre, le nickel, le plomb, la plupart des métaux industriels seront épuisés d’ici 30 à 60 ans.

Aussi, la population urbaine mondiale des années 50 était de 30%. Aujourd’hui, elle est passée à 50%, et devrait dépasser les 60% d’ici 2030. Au Maroc, 60% de la population vit en zone urbaine. Les besoins des villes grandissent et la population urbaine accroit, ce qui entraîne la construction d’avantage d’infrastructures.

Ce modèle linéaire « fabriquer, consommer, jeter » conduit à l’épuisement des ressources de la planète. Le défi de la circularité sera avant tout un défi urbain. La ville fonctionne en circuit ouvert. Le concept de l’économie circulaire vise à rendre ce modèle tourner en circuit fermé.

L’économie circulaire se définit comme un système d’échange et de production qui vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources tout en diminuant l’impact sur l’environnement.

Pour penser circulaire il est nécessaire de désobéir aux règles de gouvernances habituelles pour faciliter des échanges comme des écosystèmes. L’économie circulaire repose sur la dimension temporelle et le cycle de vie pour maximiser les usages à partir de la conception jusqu’à la fin de vie du projet.

A cet effet, les villes sont dans l’obligation d’adapter le financement traditionnel de la production urbaine aux nouvelles règles sinon elles seront dépassées par la révolution numérique qui agit comme un facteur de transformation des espaces urbains et de leur fonctionnement sans distinction entre service public et offre privée. L’exemple de Uber, Waze, Blablacar, Tesla, Googleflow... Le croisement de ces deux constats invite à repenser la gestion des services urbains.

En outre, organiser les échanges de flux entre acteurs pour l’approvisionnement durable du territoire par les matériaux à travers la consommation des habitants et des entreprises est considéré un enjeu majeur. L’exemple de l’Institut de Recherche en Energie Solaire et Energie Renouvelable (IRESEN) qui travaille sur la valorisation de certaines plantes comme matériau pour la construction durable et le recyclage des batteries de véhicules électriques.

Aussi, l’enjeu est de créer des produits ou services répondant aux besoins des habitants tout en réduisant l’impact environnemental. Réduire l’impact négatif du produit, service ou bâtiment sur l’environnement et sur l’ensemble de son cycle de vie, tout en conservant ses qualités d’usage de manière préventive.

D’autres modelés économiques peuvent être développer à travers la consommation responsable comme l’économie de la fonctionnalité. Celle-ci est différente de l’économie classiques à travers une solution intégrée qui remplace la vente d’un bien. Par exemple la mutualisation des stationnements ou l’autopartage (car sharing).

Une étude réalisée par IBICITY, ESPELIA et PARTIE PRENANTE sur les conséquences de toutes ces mutations sur les services urbains. Dans un contexte aussi incertain, la réflexion prospective permet d’élargir la vision pour repérer les scénarios possibles.

Du traitement des déchets à l’économie circulaire

Le secteur des déchets est le plus concerné par la logique de circularité. Dans les années à venir, la chaine de valeur des déchets classique va laisser la place à une boucle de valeur de la ressource. Cette boucle résulte de l’assemblage de la partie amont de la chaine de valeur des déchets (tri et collecte) avec la partie aval de la chaine de valeur des industries manufacturières (en se substituant aux matières premières).

La chaîne de valeur de la gestion des déchets est schématisée sous une forme linéaire : 1-usagers ; 2-collecte ; 3-recyclage ; 4-traitement. Elle représente les différentes étapes de la réalisation du service urbain, des infrastructures jusqu’aux usagers. L’éclatement de la chaine de valeur des déchets bouscule ce secteur. Il entraîne l’arrivée de nouveaux acteurs extérieurs au secteur qui disposent de la compétence pour se positionner entant que métiers nouveaux de l’économie circulaire à l’avenir.

A noter que le rôle à jouer par l’Etat est très important par la mise en place des avantages fiscaux et un cadre règlementaire favorable à la création d’un marché de l’économie circulaire capable de dépasser l’approche « filière » mise en œuvre jusqu’ici.

L’éclatement de la chaine de valeur donnera lieu à la conception des profils de ce que pourrait être à l’avenir un métier de l’économie circulaire :

Un logisticien : Optimiser les flux de ressources

Le premier métier potentiel c’est le logisticien dont la mission est de fournir en temps optimal de la matière première. Il se concentre sur le transport des marchandises, qui sont à la fois un déchet usagé et une ressource potentielle. Il assure une activité de groupage/dégroupage des flux pour optimiser les circuits et garantir la livraison en temps voulu.

Le revenu est généré à travers la relation entre, à la fois, l’individu en échange de la collecte de ses poubelles et par l’industriel en contrepartie de cette ressource.

Le logisticien se positionne entre deux chaines de valeur distinctes. Il réunit les déchets produits par les usagers, pour en faire un input dans la chaine de valeur de l’industrie.

Une gestionnaire de marché territoriale : agréger l’offre et la mettre en relation avec la demande

Eviter le stockage par la mise en relation dynamique entre une offre et une demande de matière. Cette activité suppose un important travail de qualification et d’agrégation des futurs déchets pour qu’ils trouvent un acquéreur.

Dans ce cas le revenu est assuré principalement par une commission sur les transactions opérées sur la plateforme, du côté de l’acquéreur et de celui du vendeur.

L’opérateur se positionne sur un réseau moyennant une plateforme numérique, qui organise et sécurise des transactions entre des producteurs et des consommateurs de déchets/matière première.

Un animateur local : Faire du circulaire un levier de développement économique et social

Utiliser les activités de réparation pour organiser le lien social sur un territoire et créer de l’emploi.

Les revenus occasionnés par la revente sont relativement limités. Ils sont complétés par des financements publics, du fait de son rôle d’intérêt général et de son fort ancrage territorial, pourvoyeur d’emplois et de solidarités de proximité.

Issu de l’économie sociale et solidaire, ce profil se situe à la limite du secteur marchand.

Un animateur déchet néant : Modifier les pratiques pour limiter la production de déchets

Accompagner chaque usager pour lui permettre d’optimiser son comportement et sa consommation afin de réduire le volume de déchets produits.

La rémunération de ce type de prestataires peut être réalisée par abonnement en cas d’accompagnement pour une longue période ou par commission prise sur les volumes.

L’animateur intervient au plus près de l’usager que ce soit un individu ou une entreprise. Il met l’accent sur la prévention et intervient aussi sur les pratiques de consommation.

Les profils présentés de ces opérateurs potentiels n’ont pas toutes la même valeur. Certains sont plus attrayants que d’autres selon le contexte territorial ou la stratégie poursuivie.

Comme pour les scénarios, il est à noter qu’il ne s’agit pas de sélectionner un profil à l’exclusion de tous les autres. L’avenir ne se choisit pas mais il se construit selon les circonstances de la période et le territoire n’est qu’une des parties prenantes dans la transformation.

La crise du Covid-19 a permis de constater la vulnérabilité de l’économie mondiale sous sa forme actuelle. Si, en revanche, on ne le reconsidère pas on sera à chaque crise de plus en plus affaibli. De toute évidence, l’économie circulaire n’est pas une solution féerique qui résout tous nos problèmes mais elle est l’un des modèles opérationnels pour un développement durable. Elle encourage, d’un point de vue social, de nouvelles coopérations et de nouvelles pratiques plus collaboratives engendrant des nouveaux métiers, d’un point de vue environnemental, c’est l’optimisation de l’usage des ressources.

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