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Post-Covid 19 : l’Afrique nouvelle usine?

PAR Jean-Michel Huet, associé BearingPoint

La crise de la Covid-19 a montré le rôle économique clé de la Chine, dont les lignes de production se sont avérées clés pour certains produits essentiels lors de la crise sanitaire (masque, blouse, respirateurs mais aussi certains médicaments). La sortie de crise sanitaire – sous réserve qu’il n’y ait pas une « saison 2 » – peut rebattre les cartes. D’une part, la Chine ne sortira pas idem de la crise qui a vu son économie en partie arrêtée elle aussi, sa stratégie de confinement la rapprochant en cela plus des pays de l’OCDE que des pays émergents. Ceci dans un contexte où le pays ne bénéficie pas des systèmes sociaux européens et donc avec un risque fort de chômage industriel élevé. D’autre part, car une vraie question se pose sur la localisation de certaines chaines de production. S’il parait utopique de penser que l’industrie européenne va entièrement revenir sur le vieux continent, on peut s’interroger sur un effet d’aubaine pour les pays africains qui pourraient être un niveau intermédiaire de relocalisation industrielle. Les avantages macro-économiques semblent nombreux : ce serait un mi-chemin entre la situation actuelle (production concentrée en un seul pays principal, à 8 fuseaux horaires et 4 semaines de cargos) et une situation entièrement relocalisée en Europe qui semble théorique, pour des raisons de main d’œuvre et aussi de coût … le consommateur européen pouvant avoir un avis différent du citoyen/employé quand il regarde son budget.

Des industries en Afrique rapprocheraient les centres de production des centres de consommation (moins de transports maritime, répartition dans plusieurs pays donc appréciation du risque différente, etc.)  L’exemple des masques illustre ce cas figure avec plusieurs pays africains dont le Maroc, qui ont su rapidement réorienter leur production nationale et vite produire plus que les pays européens.

On a oublié qu’en 1980, l’industrie africaine et asiatique étaient au même niveau en termes de valeur ajoutée manufacturière (VAM) … Aujourd’hui, l’Asie représente 18% de cette valeur au niveau mondiale ; l’Afrique 2% … On oublie aussi souvent que l’Amérique du Nord (48%) et l’Europe (25%) sont en réalité encore des lieux clé de la production industrielle mondiale … Il ne s’agirait donc pas de prendre des emplois aux européens mais de diversifier les approvisionnements industriels en les rapprochant de l’Europe. Le chemin est encore long, le revenu industriel par habitant en Asie du Sud-Est est de 3.400 dollars contre 700 dollars en Afrique. Si dans les 30 prochaines années, l’Afrique connaissait une croissance industrielle équivalente à celle de l’Asie entre 1974 et 2004 (période de l’explosion asiatique), alors sa VAM passerait, en dollars constants, de 500 milliards à 4.000 milliards dans 30 ans. En dehors de soutenir le continent qui va connaitre la plus grande croissance démographique dans les 30 prochaines années à développer une activité économique pourvoyeuse d’emplois, cette industrialisation aurait aussi du sens dans un monde plus « propre » en réduisant les transports entre matière première (abondante en Afrique), zone industrielle et zone de chalandise, celle-ci étant l’Europe.

L’émergence industrielle africaine devra fondamentalement s’appuyer sur la mise en place de politiques économiques et industrielles multidimensionnelles probantes :

•             Attirer et canaliser des financements vers des projets d’infrastructures et industriels pouvant stimuler le PIB. A ce titre, les Partenariats Publics Privés (PPP) peuvent représenter un instrument idoine pour fédérer les investissements privés et publics.

•             Adopter une politique monétaire et financière bien conçue : garantir aux entreprises un meilleur accès au crédit, et que les taux d’intérêt réels ne soient pas dissuasifs pour l’investissement. Un facteur d’autant plus important du fait que les entreprises africaines se financent aujourd’hui davantage par leurs bénéfices non distribués, en raison du coût du crédit sur le continent.

•             Promouvoir des partenariats stratégiques en Afrique et créer des pôles industriels puissants axés sur l’international : mettre en relation les entreprises et grands projets africains avec des partenaires et investisseurs potentiels.

•             Mettre l’accent sur l’éducation et la formation. Le principal défi qui s’impose au continent est de fournir des compétences appropriées aux nouveaux entrants sur le marché du travail. L’histoire a démontré que la nature de l’enseignement se répercute sur le développement industriel, notamment lorsque la priorité a été donnée aux scientifiques et ingénieurs pour favoriser le progrès industriel.

Bref, la crise de la Covid-19 a montré que ces questions de répartitions géographiques de la production et de délai d’approvisionnement sont essentielles. Peut-être une nouvelle répartition internationale du travail à imaginer, plus inclusive pour l’Afrique, moins risquée pour l’Europe.

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