ExpertsFlashLa Une

L’élargissement de la bande du taux de change du dirham serait-elle une bonne mesure pour soutenir le plan de relance Post-Covid19 ?

Par Omar Bakkou
Économiste et Spécialiste des politiques de change

Tout pays touché par un choc économique violent similaire à celui du Covid-19 qui impacte fortement sa production nationale, que ce soit celle destinée au marché intérieur que celle destinée au marché extérieur, se trouve confronté à une question centrale qui réside dans la gestion macroéconomique des déséquilibres inhérents aux retombées de ce choc.
Cette gestion macroéconomique concerne essentiellement deux grands comptes notionnels : le budget de l’Etat et « la balance devises ».
La gestion de l’équilibre du budget de l’Etat s’impose, du fait qu’un choc générateur d’un affaissement de la production globale similaire à celui du Covid-19 engendre inéluctablement une baisse des recettes fiscales de l’Etat et une augmentation de ses dépenses, augmentation due aux transferts monétaires nécessaires pour amortir les effets de ce choc sur les entités et secteurs économiques endommagés.
Quant à la gestion de la balance devises , c’est à dire l’équilibre entre les recettes et les dépenses en devises, elle s’impose également car la baisse de la production globale, notamment celle destinée au marché extérieur couplée à l’existence de plusieurs rigidités à la baisse des dépenses globales( rigidités liées notamment aux contrats salariaux du secteur public, aux dépenses liées au remboursement de la dette extérieure publique, etc.) sera susceptible de générer un écart négatif entre la production globale et les dépenses globales et , partant , entre les recettes et les dépenses en devises .

Cet écart négatif entre les recettes et les dépenses en devises requiert l’adoption d’une politique d’ajustement appropriée de ce déséquilibre, et ce, afin d’éviter la survenance d’une crise de change, c’est-à-dire une pénurie de devises, aux conséquences économiques, sociales et politiques désastreux.
Cette politique peut être opérée à travers le déploiement d’une panoplie d’instruments, potentiellement efficaces à court terme, tel le puisement sur les avoirs de réserve, le recours à l’endettement extérieur, la mise en place de restrictions administratives à l’achat et à la détention de devises (le contrôle des changes) et la manipulation du taux de change.

La manipulation du taux de change peut être mise en œuvre en principe à travers deux instruments : la dévaluation dans le cas où le pays en question adopterait un régime fixe ou la dépréciation naturelle du taux de change par le jeu de l’offre et la demande de devises sur le marché des changes dans le cas où le pays concerné adopterait un régime flottant.

Pour le cas du Maroc, pays qui adopte un régime de taux de change fixe au sein d’une bande horizontale depuis janvier 2018, l’instrument ¨taux de change¨ pourra être utilisé en agissant sur l’un des deux leviers suivants : la dévaluation du taux de change ou l’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change.
La dévaluation du taux de change paraît comme étant une mesure non envisageable pour les deux principales raisons :
-Elle sera politiquement difficile à mettre en œuvre, du fait qu’elle sera perçue comme une décision d’augmentation des prix par le gouvernement, augmentation qui serait jugée comme socialement inappropriée dans un contexte de baisse généralisée du pouvoir d’achat de la population ;
-Elle sera stratégiquement interprétée comme incohérente avec la vision du Maroc en matière de politique du taux de change, vision révélée par le gouvernement en avril 2015 dans un communiqué officiel, lequel communiqué avait annoncé le lancement d’un processus de flexibilisation graduelle du taux de change du dirham qui sera mené à travers la mise en place d’un régime fixe au sein d’une bande horizontale, bande qui fera l’objet d’un élargissement graduel jusqu’à sa suppression.

La première étape de ce processus de flexibilisation a été franchie le 15 janvier 2018 avec la mise en place d’un régime fixe autour au sein d’une bande de fluctuation de plus ou moins 2,5% autour d’un taux de change central fixé selon la méthode du panier (c’est-à-dire une différence entre la valeur maximale et minimale du taux de change de 5% maximum). Puis, une deuxième étape dudit processus a été franchie le 9 mars 2020, avec l’élargissement de la bande de fluctuation à 5% autour du taux de change central fixé selon la méthode du panier précitée, au lieu de 2,5% (c’est-à-dire une différence entre la valeur maximale et minimale du taux de change de10%maximum).

Le lancement d’une troisième étape de ce processus de flexibilisation à travers l’élargissement de la bande de fluctuation du dirham du taux de change du dirham serait ainsi l’une des mesures envisageables pour pallier les déséquilibres éventuels liés aux retombées du choc du Covid-19 sur ¨ la balance devises¨ du Maroc.

Cette question soulève ainsi des interrogations au sujet de sa pertinence. Pour la réponse à cette question, il est nécessaire de procéder – à l’instar de toutes les décisions de politique économique – à une évaluation préalable des coûts et des avantages de l’adoption de cette décision.
I- Coûts éventuels de l’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change du dirham

Les inconvénients éventuels de l’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change du dirham résident dans les impacts négatifs des deux conséquences présumées de l’adoption de cette mesure, à savoir l’accroissement de la volatilité et les variations indésirables des taux de change.

1- Impacts négatifs inhérents à l’accroissement de la volatilité du taux de change

La volatilité du taux de change désigne les fluctuations du taux de change considérées comme excessives et nuisibles pour le fonctionnement de l’économie dans sa globalité . Ces fluctuations génèrent en principe des coûts :
-Pour les opérateurs du commerce extérieur et également pour les entités qui contractent la dette extérieure, sous forme de coûts de couverture pour se prémunir contre l’incertitude engendrée par ladite volatilité.
-Pour les investisseurs directs étrangers en termes de réduction de la visibilité à moyen et long terme sur leurs projets d’investissement .
L’évaluation des coûts liés à la volatilité du taux de change doit prendre en considération deux principaux aspects : son amplitude et son ampleur.

L’amplitude de la volatilité concerne le risque d’occurrence d’un niveau excessif de variabilité du taux de change. Ce risque demeure lié au degré de diversification de l’économie, dans le sens où moins l’économie est diversifiée, soit dans le cas extrême d’un seul produit à l’exportation, plus les recettes au titre des exportations fluctuent amplement, ce qui engendre des fluctuations au niveau de l’offre de devises sur le marché des changes, lesquelles fluctuations se traduisent par une aggravation des variations des taux de change. Au Maroc , le degré de diversification appréhendé à travers l’indice de concentration des exportations qui exprime le nombre de produits réalisant 50% des exportations totales s’établit à un niveau d’environ 7 , c’est-à-dire que seuls 7 types de grandes familles de produits réalisent 50% des exportations totales (soit 2,2% du nombre total des produits exportés qui est de 321) à fin 2017. Ce niveau de diversification peut ainsi être qualifié de moyen ,du fait qu’il demeure d’une part, inférieur à celui enregistré dans plusieurs pays développés , notamment les Etats-Unis (34) , l’Allemagne( 28 )Chine(23) et d’autre part supérieur à celui enregistré dans plusieurs autres pays, tels le Sénégal(4), la République Centre africaine (1),le Qatar (1) , etc. Ce niveau de diversification risque de baisser sous l’effet des retombées de la crise du Covid-19 sur les exportations marocaines.

L’ampleur de la volatilité concerne le volume des opérations concernées par cette volatilité, à savoir les flux de commerce extérieur, de dividendes générés par les investissements directs étrangers et de remboursement de la dette extérieure, plus particulièrement la part que représente ces opérations par rapport au PIB. En effet, plus le ratio de la somme de ces opérations par rapport au PIB est important, plus le coût de la volatilité sera jugé comme élevé. Au Maroc, ce ratio s’est établi en moyenne à 82,8% du PIB durant la période 2014-2017, ce qui correspond à un niveau assez élevé.
Ces éléments montrent ainsi que le choc du Covid-19 devra en principe exacerber la volatilité des taux de change ce qui risque d’engendrer un coût supplémentaire pour les opérateurs économiques compte tenu de l’importance que représente les secteurs économiques concernés par cette volatilité dans l’économie marocaine. Cela plaide ainsi en défaveur de l’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change du dirham, car cet élargissement sera susceptible d’aggraver cette volatilité, et partant, d’alourdir son coût économique.

2- Impacts négatifs inhérents aux variations indésirables des taux de change

Les variations indésirables des taux de change est un concept qui tient compte du fait que l’attribution d’un rôle plus important aux forces du marché en matière de détermination du taux de change serait susceptible de générer dans certains cas des évolutions du taux de change non bénéfiques sur le plan économique.
Ces impacts économiques pernicieux dépendent, d’une part, du sens de la tendance prise par les taux de change à l’issu de l’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change, c’est-à-dire s’il s’agit d’une tendance à l’appréciation ou à la dépréciation du taux de change et , d’autre part, du profil économique du pays en question.
A- Impacts négatifs liés à l’appréciation du taux de change
En effet, l’appréciation du taux de change serait préjudiciable pour les économies des pays dont l’activité économique demeure fortement dépendante des exportations, particulièrement ceux dont les exportations se fondent sur la compétitivité prix, du fait qu’une appréciation du taux de change risque d’affaiblir la compétitivité des exportations de ces pays et, partant, la croissance économique et l’emploi.
Cette assertion est attestée par l’expérience de différents pays, notamment les pays de l’Asie du Sud-Est, la Chine et la Suisse lesquels ont continué, en dépit de la mise en place de régimes flottants de jure, à intervenir sur le marché des changes pour stabiliser le taux de change à l’intérieur de marges plus ou moins étroites.
Ces interventions ont été qualifiées par certains économistes comme Calvo de phénomène de « peur du flottement » qui revient dans plusieurs cas en une peur de l’appréciation du taux de change. En effet, les pays de l’Asie du Sud-Est qui avaient adopté le flottement au lendemain de la crise de de change de 1997, ont continué à intervenir massivement pour résister à l’appréciation de leurs taux de change, du fait que cette appréciation est devenue préjudiciable pour les économies de ces pays face à la forte compétitivité de la Chine, laquelle demeure redevable aux coûts salariaux trop bas et à la sous-évaluation évidente du Yuan chinois (entre 25% et 50%, selon les estimations). De même, la Chine, pays qui s’est déclaré depuis 2005 comme adoptant un régime flottant sous l’effet des mouvements de pression politique émanant particulièrement des Etats-Unis, a continué depuis ladite année à intervenir sur le marché des changes pour stabiliser le taux de change. Cela en raison des craintes des autorités de ce pays quant aux impacts négatifs de l’appréciation du taux de change, d’une part, sur les exportations qui se fondent sur la compétitivité prix et, d’autre part, sur le secteur agricole qui emploie environ 150 millions de personnes, et dont une chute des prix domestiques des produits alimentaires résultant d’une appréciation du taux de change, risquerait d’avoir des conséquences défavorables sur ce secteur faiblement compétitif. Un autre exemple très illustratif de ce phénomène de la « peur de l’appréciation du taux de change » est celui de la Suisse.

En effet, alors même que ce pays a dans la majeure partie de la période post Bretton Woods adopté un régime de flottement, il n’en demeure pas moins qu’il a dû suspendre ce régime dans quelques périodes bien définies, notamment en 1978 et 2011.La suspension opérée en 1978 à travers les achats massifs de devises étrangères contre le franc suisse a été décidée suite aux conséquences très dommageables de l’appréciation du franc suisse sur les exportations et l’emploi dans ce pays, particulièrement sur l’industrie de l’horlogerie dont le volume de l’emploi a chuté de 100.000 en 1970 à 18.000 à 1980. De même, la banque centrale suisse était tenue d’intervenir en 2011 en fixant un cap au taux de change du franc suisse contre l’euro (soit 1,2 franc suisse pour 1 euro), pour faire face aux pressions à l’appréciation de ce taux de change, inhérentes aux larges flux de capitaux qui se sont dirigés vers la Suisse, sous l’effet des conséquences de la crise de la dette souveraine en Europe (le franc suisse est considéré comme une valeur refuge « safe haven »).

L’appréciation du taux de change serait également non bénéfique sur le plan économique pour les pays exportateurs de produits énergétiques et miniers, du fait que l’appréciation du taux de change risque d’étouffer l’activité économique et de perturber le fonctionnement de l’économie dans sa globalité dans ces pays (cas des pays du golfe). En effet, dans ces pays les recettes en devises sont structurellement largement supérieures aux dépenses en devises faisant ainsi que la libre détermination du taux de change sur le marché des changes se traduira par une forte appréciation des taux de change, laquelle appréciation serait un handicap majeur pour la construction de l’économie nationale. Cette « peur de l’appréciation » du taux de change semble expliquer le choix par les pays du golfe d’un régime de taux de change fixe par rapport au dollar américain.
De même, l’appréciation du taux de change aura également un impact macroéconomique négatif pour les pays ayant une balance commerciale structurellement déficitaire comme le Maroc. Cela, en raison du fait que cette appréciation agit négativement sur la production nationale d’une manière globale : elle agit négativement sur la production destinée aux marchés étrangers et sur celle destinée au marché intérieur (l’appréciation du taux de change abaisse les prix des importations au titre des biens de consommation, lesquels biens concurrencent la production nationale). Cet impact négatif sur la production nationale est généralement largement supérieur aux effets positifs de l’appréciation du taux de change sur la production nationale, effets liés à la baisse des prix des biens intermédiaires et d’équipement.

L’appréciation du taux de change est, en revanche supportable sur le plan macroéconomique par des pays comme l’Allemagne, pays ayant une balance commerciale structurellement excédentaire, sous l’effet d’une production industrielle très intensive en recherche et innovation technologique.

Pour le cas du Maroc, pays ayant une balance commerciale structurellement déficitaire et dont la production nationale a été fortement endommagée sous l’effet du choc du Covid-19, particulièrement celle destinée à l’exportation , l’appréciation du taux de change ne serait pas souhaitable , et ce, en raison ,d’une part, de son impact négatif sur l’activité économique d’une manière générale et, d’autre part, , de l’éventuelle réaction des différentes corporations représentatives des exportateurs, à l’instar du scénario de 2001 où l’appréciation du dirham face à l’euro s’est traduite par une pression forte des opérateurs du secteur du textile et habillement de telle sorte que le gouvernement a dû adopter une mesure de dévaluation du dirham le 25 avril 2001.

Cette appréciation serait un scénario probable en cas de poursuite de la stratégie de renforcement des avoirs de réserve par le gouvernement. En effet, le tirage par le Maroc de la Ligne de Précaution et de Liquidité du FMI le 7 avril 2020 pour un montant équivalent à environ 3 milliards de dollars s’est traduit par un réajustement des positions de change des banques, sous l’effet de l’amélioration de la visibilité à court terme sur l’évolution des réserves de change, lequel réajustement avait généré une tendance à l’appréciation durant la période s’étalant de la mi-avril jusqu’à la fin de la première décade du mois de mai.
B- Impacts négatifs liés à la dépréciation du taux de change
La dépréciation du taux de change, particulièrement lorsqu’elle est durable et de forte ampleur, pourrait être préjudiciable pour certaines économies, en raison de l’effet inflationniste de cette dépréciation. Cet effet se manifeste particulièrement pour les économies des pays pauvres (ou à revenu intermédiaire inférieur) fortement dépendantes de l’étranger en matière d’importation et pour celles des pays ayant un passé inflationniste important.

Cela pour les deux principales raisons suivantes :
– Pour les pays à faible revenu fortement dépendants de l’étranger en matière d’importation, c’est-à-dire les pays dont les importations représente une part très élevée par rapport au PIB , tels les Seychelles( 100% ), le Cap-Vert ( 63%) la Jordanie (plus de 60%), etc., le degré de transmission des dépréciations des taux de change aux prix internes est naturellement plus fort que dans les économies moins dépendantes de l’étranger en matière d’importation comme les Etats-Unis(où les importations représentent en moyenne environ 15% du PIB). Cette forte transmission est due à ce que la structure des prix internes dans les pays importateurs nets dépend fortement des prix des produits importés, lesquels prix sont affectés automatiquement par la dépréciation des taux de change.

– Pour les pays ayant un passé inflationniste important, c’est-à-dire les pays où « l’inflation est encore fraîche dans la tête de la population » pour reprendre l’expression de l’économiste américain Frankel, l’impact de la dépréciation du taux de change sur les prix internes sera fort. Et inversement, les pays où le taux d’inflation enregistré dans le passé est faible, l’impact de la dépréciation du taux de change sur les prix internes est généralement faible. Cette corrélation prouvée par plusieurs études économiques à ce sujet s’explique par la principale raison suivante : dans les pays ayant un passé inflationniste, le taux de change, c’est-à-dire la valeur externe de la monnaie nationale, devient un repère naturel pour les anticipations inflationnistes des agents privés, c’est-à-dire pour la constitution de prévisions quant à l’évolution de la valeur interne de la monnaie nationale(taux d’inflation). Cela est dû à ce qu’une dépréciation du taux de change est perçue dans un pays à tradition inflationniste comme étant due à un accroissement du taux d’inflation ou à un débordement monétaire qui devrait inéluctablement impacter le taux d’inflation. Alors que dans les pays ayant un niveau de taux d’inflation historiquement stable, les anticipations inflationnistes sont naturellement faibles et ne sont pas corrélées aux évolutions du taux de change.

Plusieurs exemples historiques corroborent les thèses présentées ci-dessus, notamment le cas de la Jordanie à la fin des années 1980. En effet, l’adoption par ce pays d’un régime flottant vers la fin de l’année 1987 (au lieu d’un régime fixe par rapport au dollar) s’est traduit durant quatre mois (entre novembre 1988 et février 1989) par une dépréciation d’à peu près 35% du taux de change causant une augmentation des prix de 25%. Cette situation, aggravée par les retombées de la guerre du golfe durant la période s’étalant de 1990 à 1992 a poussé la Jordanie à abandonner le régime de flottement et à retourner au régime fixe.

Pour le cas du Maroc, pays qui se caractérise par une maîtrise historique du taux d’inflation (il s’est établi en moyenne à 2,1% durant la période 1994 – 2018), par un degré moyen de dépendance aux importations et par une politique du taux de change axée sur une stratégie de flexibilisation du taux de change par petit pallier (élargissement graduel de la bande de fluctuation du taux de change), l’impact de la dépréciation du taux de change sera de faible ampleur. Cela en raison, d’une part, du faible degré de transmission des taux de change aux prix internes au Maroc et, d’autre part, à la faible dépréciation présumée du taux de change. Il n’en demeure pas moins qu’une dépréciation du taux de change inhérente à un élargissement de la bande de fluctuation du taux de change serait susceptible d’être assimilée à une augmentation généralisée des prix et serait par conséquent mal perçue socialement en raison de la baisse générale du pouvoir d’achat liée à l’affaissement du PIB en conséquence du choc du Covid-19.

II- Avantages éventuels de l’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change du dirham

Le système de taux de change adopté actuellement au Maroc est un régime dans lequel le taux de change du dirham peut varier à l’intérieur d’une limite de 5% par rapport à un indice monétaire composite libellé en dollar et constitué de l’euro (60%) et du dollar (40%), indice conçu de façon à ce qu’un panier de devises de 60 euros et de 40 dollars puisse être acheté avec la même quantité de dirhams quel que soit l’évolution du cours de change de l’euro par rapport au dollar sur le marché international.
Cette limite de 5% par rapport à l’indice précité signifie que le taux de change du dirham peut baisser de 5% par rapport à cet indice ou augmenter de 5% par rapport audit indice, c’est-à-dire que le taux de change du dirham peut varier de 10% maximum (bande de fluctuation ) en fonction de l’offre et de la demande sur le marché des changes.
L’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change du dirham par rapport à cet indice théorique signifierait ainsi que le taux de change du dirham pourrait ainsi varier de plus 10% par rapport audit indice.

Cet élargissement aurait pour avantage présumé une flexibilité plus importante du taux de change qui signifie l’octroi d’un rôle plus important au mécanisme de variabilité du taux de change pour l’ajustement des déséquilibres de la balance des paiements inhérents, notamment à la survenance de chocs économiques (baisse des exportations suite à l’adoption de dévaluations compétitives par les pays concurrents, augmentation des prix des matières premières sur le marché international, etc.).

La flexibilité du taux de change constitue en effet une qualité recherchée à travers la mise en place d’un régime plus flottant, et ce, dans l’objectif de remédier à l’inconvénient majeur des régimes fixes, à savoir la rigidité. La rigidité fait allusion au manque de réactivité du taux de change face aux déséquilibres éventuels de la balance des paiements (déséquilibre entre l’offre et la demande de devises sur le marché des changes) et, partant, aux coûts qui y sont induits. Ces coûts résident dans la dégradation drastique de la compétitivité prix, laquelle dégradation engendre des déficits du compte courant, lesquels déficits se traduisent en cas de leur succession par la survenance de crises d’endettement et de change (pénurie de devises) aux conséquences économiques, sociales et politiques extrêmement graves.
Ce lien entre les systèmes de taux de change rigides (régimes fixes et faible recours aux dévaluations du taux de change) et le risque de survenance de crises de change est prouvée historiquement particulièrement dans les pays d’Amérique latine. En effet, tous ces pays ayant été touchés par ces crises de change (le Mexique en 1994, l’Argentine en 2001, le Brésil en 2002, etc.) ont pour trait commun le fait d’avoir fonctionné pendant des durées assez longues avec des taux de change surévalués, sous l’effet notamment des systèmes de taux de change rigides qu’ils avaient adopté.
Cet avantage de l’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change lié à la flexibilité, explicité ci-dessus, n’est pas garanti. En effet, dans plusieurs cas la mise en place de régimes de flottement libre s’est traduite par des évolutions désordonnées du taux de change et sans lien avec les fondamentaux et ne générant par conséquent pas la flexibilité recherchée à travers ces régimes. Les cas l’Australie et la Nouvelle sont éloquents à cet égard. En effet, ces pays ayant une longue histoire en matière de flottement, avaient connu durant la période 2001- 2008, une situation dans laquelle leur taux de change se sont appréciés en terme réel de 30%. Cette situation, due aux afflux importants de capitaux en direction de ces deux pays sous l’effet notamment de taux d’intérêt réels plus élevés que ceux internationaux, s’est traduite par des effets négatifs sur la balance commerciale et sur les comptes courants desdits pays.

Ainsi conscients de cet état de fait ( nocivité des régimes dans lesquels le taux de change est contrôlé totalement par l’Etat en raison de la rigidité de ces régimes et incapacité des régimes où la détermination du taux de change est confiée au marché à assurer la flexibilité requise), un certain consensus s’est formé autour d’une solution intermédiaire qui réside dans l’adoption de régimes pouvant être qualifiés de « flottement contrôlé » :c’est la réalité aujourd’hui car aucun pays au monde ne suit un régime dans lequel le taux de change est totalement déterminé par les forces du marché . En effet, les pays considérés par le FMI comme adoptant un régime totalement flottant sont ceux dont les interventions des autorités sur le marché des changes ne dépassent pas trois interventions durant les six derniers mois.

Ce consensus autour du régime de « flottement contrôlé » se fonde en réalité sur une doctrine qui inspire aujourd’hui le mode de gouvernance des différents marchés de l’économie, notamment le marché des biens et de services, le marché des capitaux et le marché des changes, laquelle doctrine considère que là où les marchés peuvent être myopes (flexibilité imparfaite précitée), l’Etat serait aveugle (rigidité menant à des crises de change citée ci-dessus) : la solution la mieux appropriée serait ainsi pour pallier ce dilemme, de mettre en place un système qu’on pourrait qualifier de « myopie contrôlée », c’est-à-dire un système dans lequel le marché s’occupe de la mission de détermination du taux de change et où l’Etat(non pas à travers la machine gouvernementale dominée par des arbitrages politiques qui font que les décisions de politique économique ne correspondent pas toujours aux meilleurs résultats de l’analyse économique) à travers un dispositif administratif ,débarrassé des pesanteurs de la prise de décision en matière de politique économique , s’occupe de la correction de cette myopie. Ce système pragmatique de « myopie contrôlée » est aujourd’hui le plus utilisé dans le monde : sur 167 pays du monde éligibles au choix d’une politique du taux de change (c’est-à-dire en excluant les pays qui adoptent des régimes dollarisés ou assimilés, tel le régime de la caisse d’émission), environ 123 pays adoptent ledit système.

Ainsi, une fois ces précisions, concernant les subtilités des fondements analytiques sous-jacents aux avantages présumés des régimes de « flottement contrôlé », étant explicitées, il conviendrait de mettre en exergue un autre aspect extrêmement important pour l’analyse des avantages des régimes flottants et, partant, pour l’évaluation des avantages de l’élargissement de la bande de fluctuation des taux de change.
Cet aspect concerne les mécanismes opérationnels à travers lesquels la dépréciation du taux de change inhérente à la mise en place d’un régime plus flottant (élargissement de la bande de fluctuation du taux de change) permet l’ajustement des déséquilibres de la « balance devises ».

Ces mécanismes peuvent être mieux cernés, pour un pays ayant une balance commerciale déficitaire c’est-à-dire un pays importateur net comme le Maroc, à l’aide de l’exemple simple suivant : supposons que les importations du Maroc, se limitent à l’importation d’un seul produit et que ce produit est importé pour le prix de 1dollar américain (USD). Avec un taux de change dollar contre dirham (MAD)de 1USD=10 MAD, une dépréciation du taux de change du MAD par rapport à l’USD de 10% se traduira par un cours de change MAD/USD de 1USD=11MAD. Si l’on tient compte d’un niveau d’élasticité des importations inférieur à 1( ce qui est le cas car il est impossible pour un revenu national donné que les dépenses globales soient totalement inélastiques) , soit par exemple une baisse des quantités importées de 1 unité à 0,95 unité, en conséquence de l’augmentation du prix du produit importé (il passe de 10MAD à 11MAD l’unité, suite à la dépréciation du taux de change), le montant qui sera payé par l’importateur s’établira à 10,45 MAD (11MAD*0,95=10,45MAD), ce qui correspond à la contrevaleur en dollar de 0,95 USD (10,45MAD /11 MAD). Par conséquent, la dépréciation du taux de change s’est traduite par une baisse du montant en devises qui sera payé au titre de l’opération d’importation de 1 à 0,95 USD, soit une économie de 0,05 USD. Cet exemple chiffré montre ainsi que l’impact de la dépréciation du taux de change de la monnaie nationale sur les avoirs de réserve sera positif, quelle que soit la valeur de l’élasticité de la demande d’importation.
Bien entendu, plus la valeur de l’élasticité est forte, plus la baisse du montant qui sera payé en devises sera élevée et par conséquent plus les capacités d’ajustement de la balance des paiements à travers la dépréciation du taux de change seront plus fortes( en reprenant l’exemple ci-dessus, une élasticité de la demande d’importation plus forte, soit par exemple, une baisse des unités importées de 1 unité à 0,9 unité sera payé pour un montant en dirham de 11MAD*0,9= 9,9 MAD ce qui correspond à la contrevaleur en dollar de 9,9MAD /11 MAD = 0,9 USD, soit une économie de 0,1 USD au lieu d’une économie de 0,05 USD dans l’exemple précédent). La dépréciation du taux de change aura un impact positif également sur les dépenses en devises inhérentes aux transferts des dividendes des investisseurs étrangers. Cela peut être montré à l’aide de l’exemple suivant : supposons que les dividendes à distribuer s’établissent à 10MAD par exemple, le transfert en devises à ce titre s’établira, suite à la dépréciation du taux de change du dirham par rapport au dollar de 10%, à 0,9 USD (10MAD/11 MAD) au lieu de 1USD (10 MAD/10MAD).

L’impact de la dépréciation du taux de change du dirham suite à l’élargissement de la bande de fluctuation dépendra toutefois, quant à son ampleur, de l’élasticité (la sensibilité) des importations du Maroc aux variations du taux de change (plus cette élasticité sera forte, plus l’impact sera important). Cette élasticité demeure globalement faible, et ce, en raison de la forte dominance des produits non substituables (du moins à moyen terme) dans ces importations, tels les produits énergétiques, les biens d’équipement, les produits alimentaires (tel le blé) ainsi que certains produits finis de consommation.

Conclusion :

Pour l’analyse de la pertinence économique de l’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change du dirham à l’heure du choc du Covid-19, il est nécessaire de recenser les coûts et les avantages de cette mesure.
Les inconvénients éventuels de l’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change du dirham résident dans les impacts négatifs des deux conséquences présumées de l’adoption de cette mesure, à savoir l’accroissement de la volatilité et des variations indésirables des taux de change.
La volatilité des taux de change, c’est-à-dire les fluctuations du taux de change considérées comme excessives , risque en effet de s’exacerber sous l’effet du choc du Covid-19, ce qui serait susceptible de générer un coût économique considérable pour les opérateurs économiques (coûts de couverture contre les risques de change)compte tenu de l’importance que représente les secteurs économiques concernés par cette volatilité dans l’économie marocaine(plus de 80% du PIB en moyenne durant les années précédentes).
Quant aux variations indésirables du taux de change, cela concerne en principe les effets négatifs inhérents, soit à l’appréciation du taux de change , soit à la dépréciation du taux de change.
L’appréciation du taux de change qui serait un scénario moins probable mais possible en cas du recours des autorités à l’endettement extérieur, ne serait pas souhaitable, et ce, en raison de son impact négatif sur la production nationale déjà fortement endommagée sous l’effet du choc du Covid-19 : celle destinée aux marchés étrangers et celle destinée au marché intérieur (l’appréciation du taux de change abaisse les prix des importations au titre des biens de consommation, lesquels biens concurrencent la production nationale). Cela aurait pour conséquence une aggravation du déficit structurel de la balance commerciale.
Pour ce qui est de la dépréciation du taux de change qui constitue un scénario probable en cas d’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change, son impact négatif présumé concerne les prix internes à travers le canal des importations. Cet impact sera de faible ampleur au Maroc compte tenu essentiellement de la maîtrise historique du taux d’inflation et du degré d’ouverture commerciale moyen au Maroc. Il n’en demeure pas moins qu’une dépréciation du taux de change perçue généralement comme une augmentation généralisée des prix sera difficilement acceptable sur le plan social, et ce, en raison de la baisse générale du pouvoir d’achat liée à l’affaissement du PIB en conséquence du choc du Covid-19.
S’agissant des avantages éventuels de l’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change du dirham, ces derniers résidents dans les vertus de cette mesure en matière d’allégement des retombées négatives du choc du Covid-19 sur les avoirs de réserve. Cet allégement est lié à l’impact de la dépréciation du taux de change du dirham sur les dépenses en devises, lequel impact dépend de l’élasticité (la sensibilité) des importations du Maroc aux variations du taux de change : plus cette élasticité sera forte, plus la baisse des dépenses en devises sera importante. Or, cette élasticité demeure globalement faible, et ce, en raison de la forte dominance des produits non substituables (du moins à moyen terme) dans ces importations, tels les produits énergétiques, les biens d’équipement, les produits alimentaires (tel le blé) ainsi que certains produits finis de consommation.

En définitive, l’opportunité de franchir un nouveau pallier dans le processus de flexibilisation du dirham revient à une question d’arbitrage entre les légers effets négatifs présumés de cette mesure sur le pouvoir d’achat et les impacts positifs également faibles de ladite mesure sur les avoirs de réserve. Cet arbitrage éventuelle devra logiquement être tranché en défaveur de l’élargissement de la bande de fluctuation du taux de change du dirham, et ce, compte tenu du coût politique d’une telle mesure, à connotation antisociale, particulièrement dans le contexte actuel marqué par une baisse généralisée du pouvoir d’achat de la population marocaine.

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page