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Voilà pourquoi le recours à la monnaie hélicoptère est exclu

La bande de fluctuation du dirham (+ou- 5%) facilite-t-elle le recours à la monnaie hélicoptère? Omar Bakkou, Économiste et spécialiste des politiques de change, nous livre son analyse.

Avant janvier 2018 , le taux de change du dirham était fixe par rapport à un indice théorique constitué de l’euro (60%) et du dollar (40%), indice conçu de façon à ce qu’un panier de devises constitué de 60 euros et de 40 dollars puisse être acheté avec la même quantité de dirhams quel que soit l’évolution du cours de change de l’euro par rapport au dollar sur le marché international.

Avec les deux élargissements de la bande de fluctuation du taux de change du dirham par rapport à cet indice théorique, élargissements opérés respectivement en janvier 2018 et en mars 2020, le taux de change  pourrait ainsi  varier jusqu’à une limite de 5% par rapport audit indice.

Cette variabilité plus importante du taux de change,  influence la politique monétaire à travers le canal de l’impact de cette variabilité sur les prix internes. Cette influence résulte de ce que les taux de change exercent un impact sur les prix exprimés en dirhams des importations du Maroc (nos importations sont payées en devises), lesquels prix agissent à leur tour sur le niveau général des prix.

L’impact de la variabilité du taux de change sur les prix internes peut être soit inflationniste , soit déflationniste  selon le sens de variation des taux de change : une dépréciation du taux de change du dirham  renchérit en principe les prix des importation, ce qui exerce une pression à la hausse sur les prix internes(impact inflationniste); et inversement une appréciation du taux de change du dirham abaisse les prix des importations, ce qui exerce une pression à la baisse des prix interne(impact déflationniste) .

Cet impact de la variabilité du taux de change sur les prix internes n’est toutefois pas automatique et dépend de plusieurs facteurs , notamment :

  • Le degré d’ouverture commerciale, plus exactement la part que représente les importations de biens et de services dans le PIB de l’économie concernée. En effet, plus cette part est importante , plus l’impact de la variation du taux de change sur les prix internes sera fort et vice-versa. Au Maroc, le degré d’ouverture commerciale appréhendé à travers le ratio des importations de biens et de services par rapport au PIB s’établit à environ 47% à fin 2017, degré pouvant ainsi être qualifié de moyen du fait qu’il demeure d’une part, inférieur à celui enregistré dans plusieurs pays , notamment les Seychelles( 100% ) et le Cap-Vert ( 63%), et d’autre part, supérieur à celui enregistré dans plusieurs grands pays comme les États-Unis(15%).
  • Le passé inflationniste du pays concerné, dans la mesure où plus le taux d’inflation enregistré dans le passé est faible, plus l’impact de la dépréciation du taux de change sur les prix internes sera faible, et inversement, plus le taux d’inflation enregistré dans le passé est important , plus l’impact de la dépréciation du taux de change sur les prix internes sera fort. Cette assertion prouvée par plusieurs études économiques effectuées à ce sujet s’explique par la principale raison suivante : dans les pays ayant un passé inflationniste, le taux de change, c’est-à-dire la valeur externe de la monnaie nationale, devient un repère naturel pour les anticipations inflationnistes des agents privés, c’est-à-dire pour la constitution de prévisions quant à l’évolution de la valeur interne de la monnaie nationale, autrement dit, le niveau la stabilité des prix. Cela est dû à ce qu’une dépréciation du taux de change est perçue dans un pays à tradition inflationniste comme étant due à un accroissement du taux d’inflation ou à un débordement monétaire qui devrait inéluctablement impacter le taux d’inflation. Alors que dans les pays ayant un niveau de taux d’inflation historiquement stable, les anticipations inflationnistes sont naturellement faibles et ne sont pas corrélées aux évolutions du taux de change. Au Maroc, le taux d’inflation demeure bien maîtrisé : il s’est établi en moyenne à 2,1% durant la période 1994 – 2018.

-La durée des changements du taux de change, dans le sens où plus cette durée est longue, plus  l’impact de la variation  du taux de change sur les prix internes tend être fort et vice-versa. Cette assertion, prouvée par les études effectuées à ce sujet s’explique par le fait que les exportateurs peuvent être prêts, dans le cas de dépréciations temporaires du taux de change dans le pays importateur, à accepter de réduire leurs marges de profit pour maintenir leurs parts de marché.

-L’ampleur des changements du taux de change, dans le sens où lorsque la magnitude des changements du taux de change est petite, l’effet sur les prix domestiques est nul. Ce constat, prouvé par plusieurs études effectuées à ce titre, notamment aux Etats-Unis (Krugman, 1987), est dû au fait que les entreprises importatrices préfèrent absorber la moins-value inhérente à la   dépréciation du taux de change, et ce, en relation avec les coûts associés aux changements des prix (appelés coûts de menu).

Ainsi, l’application de ces éléments au cas du Maroc permet de relever que l’élargissement de la bande de fluctuation aura un faible impact sur les prix intérieurs. Cela en raison essentiellement de la faible variation prévisible des taux de change(5% maximum), de la maîtrise historique du taux d’inflation au Maroc , du degré d’ouverture commerciale moyen et de la durée relativement faible des cycles des changements de taux de change enregistrés(  une tendance à la dépréciation du taux de change du dirham  depuis le début de l’année  2020   jusqu’à la moitié du mois d’avril , puis une tendance à l’appréciation durant la période s’étalant de la mi-avril jusqu’à la fin de la première décade du mois de mai).

Quant à l’éventualité du recours de la banque centrale à une politique monétaire laxiste qui signifierait l’octroi de fonds d’une manière directe à l’État  et la distribution de crédits par les banques sans aucun égard aux règles prudentielles , elle n’est pas envisageable au Maroc, pour les  raisons institutionnelles et économiques suivantes :

En matière institutionnelle, la mise en place d’une politique monétaire laxiste n’est pas possible, du fait que la règlementation régissant cette politique, notamment le Dahir n° 1-19-82 portant promulgation de la loi n° 40-17 portant statut de Bank Al- Maghrib, interdit d’une manière implicite à cet organisme l’adoption de ce type de politique. En effet, l’article 6 de la loi précitée dispose que l’objectif principal de Bank Al- Maghrib est de maintenir la stabilité des prix. En outre, cette même loi dote cette banque des garanties nécessaires pour réaliser cet objectif en lui conférant ,d’une part,  le pouvoir exclusif de définir et de conduire la politique monétaire ( article 6) et d’autre part,  une indépendance vis- à- vis du gouvernement ( l’article 13 de la loi précitée dispose que Bank Al- Maghrib ne peut accepter d’instructions du gouvernement).

En matière économique, la mise en place d’une politique monétaire laxiste n’est pas à l’ordre du jour , du fait que les  raisons pouvant pousser un pays donné à mener ce genre de politiques très nocives n’existent pas au Maroc . En effet, le recours à une politique monétaire laxiste qui signifie dans sa forme la plus extrême le financement direct par la banque centrale du déficit public connu par l’expression de « planche à billet » survient en cas d’épuisement par le gouvernement de toutes les possibilités de financement du déficit budgétaire : financement extérieur et puis celui intérieur qui pourra être utilisé en principe jusqu’au tarissement des  avoirs de réserve. Or, l’analyse de la situation actuelle des comptes publiques, ainsi que celle patrimoniale de l’État permet de révéler que le Maroc est loin de cette configuration.

Lire aussi Coronavirus : Comment le Maroc assure l’équilibre entre les recettes et les dépenses en devises

 

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