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Coronavirus : Comment le Maroc assure l’équilibre entre les recettes et les dépenses en devises

Par Omar BakkouEconomiste,Spécialiste de la politique de change

 

Tout  pays touché par un choc économique violent, c’est-à-dire un événement qui impacte fortement sa production globale, ses recettes en devises, son revenu national  et partant ses équilibres extérieurs , se trouve ainsi confronté à une question centrale qui réside dans la politique optimale à déployer pour faire face aux déséquilibres inéluctables inhérents à ce choc .

Cette politique optimale consiste à choisir généralement, la meilleure combinaison d’instruments parmi ceux  à la disposition de l’Etat pour  assurer un certain équilibre entre les recettes et les dépenses en devises (équilibrer la balance des paiements) et, partant, éviter la survenance d’une crise de change aux conséquences économiques , sociales et politiques désastreuses.

Pour la  réponse à cette question centrale, il est nécessaire de présenter  ces instruments  en mettant parallèlement la lumière sur les critères d’excellence ou les considérations devant prévaloir en matière de choix de ces instruments.

Les instruments à la disposition de l’Etat pour assurer un certain équilibre entre les recettes et les dépenses en devises comprennent pour rappel bon nombre d’instruments pouvant être scindés globalement en trois grandes catégories : le puisement dans le patrimoine public en valeurs étrangères liquides (les avoirs de réserve), l’augmentation des recettes en devises et la réduction des dépenses en devises.

En matière de puisement dans les avoirs de réserve qui signifie concrètement la vente de devises par la banque centrale sur le marché des changes, cet instrument pourra être utilisé en principe tant que le niveau de ces avoirs demeure supérieur au seuil psychologique de trois mois d’importation. Ainsi, au Maroc, le niveau actuel reste confortable, du fait que ce niveau permet de couvrir plus de mois d’importation que ceux pris en compte dans le ratio de calcul (les importations de l’année précédente) en raison de ce que le volume des importations de biens et de services s’est inscrit dans une forte tendance baissière, et ce, sous l’effet de la baisse de la production et de la consommation intérieure.

S’agissant de l’augmentation des recettes en devises, plusieurs instruments existent en théorie : promotion des exportations de biens et de services à travers des politiques sectorielles ou à travers des politiques macroéconomiques (dévaluation du taux de change), l’encouragement des investissements étrangers, l’encouragement des transferts des MRE et l’endettement extérieur. Ainsi, dans le contexte de la spécificité du choc actuel, choc à la fois de l’offre (impossibilité de produire un certain nombre de biens et de services à cause du confinement sanitaire) et de la demande(baisse drastique de la demande mondiale ), il serait insensé d’évoquer la possibilité de l’augmentation des recettes en devises en agissant sur les exportations, les IDE et les transferts des MRE. Par conséquent, la seule marge de manœuvre à la disposition de l’Etat est le recours à l’endettement extérieur, en cas de baisse drastique des avoirs de réserve.

Quant  à la réduction des dépenses en devises, les instruments potentiellement déployables peuvent concerner les dépenses relatives aux importations de biens et de services , aux revenus des travailleurs étrangers et des investisseurs étrangers(les dividendes) , aux désinvestissements (vente de produit de cession des investissements étrangers) et aux investissements à l’étranger.

Concernant les dépenses relatives aux importations de biens qui représentent environ 70% en moyenne de nos dépenses en devises, ces dernières seront appelées à enregistrer une baisse naturelle suite au choc du Covid-19, laquelle baisse sera liée essentiellement au tassement de la production (que ce soit celle destinée au marché intérieur que celle destinée à l’exportation)  et à l’affaissement des prix des produits énergétiques. Cet ajustement automatique des dépenses au titre des importations de marchandises constitue un argument suffisant pour éviter l’utilisation de mesures restrictives globales à ce titre, notamment celles quantitatives aux effets dépressifs sur l’activité économique : les pays qui utilisent ces restrictions entrent dans un cercle vicieux : baisse de la production et des exportations, notamment à cause de la baisse des biens intermédiaires importés, développement du marché informel, baisse des recettes budgétaires à cause de la baisse de la production , etc. Ajouter à cela que l’utilisation de mesures protectionnistes précitées risque d’engendrer des ripostes de la part des pays avec lesquels le Maroc est lié par des accords de libre-échange, ainsi que des sanctions de la part de l’OMC .

S’agissant des dépenses relatives aux transferts à l’étranger des dividendes au titre des investissements étrangers au Maroc qui représentent par ailleurs une part négligeable de nos dépenses en devises (environ 2% en moyenne), ces dernières  ne doivent pas faire l’objet de mesures restrictives , et ce, en raison des deux principaux arguments suivants :

-En premier lieu,  les transferts de dividendes constituent selon les termes de l’article XXX des statuts du FMI des opérations courantes. Or, ces opérations ne peuvent pas faire l’objet restrictions de la part d’un Etat membre sans l’approbation du Fonds Monétaire International, selon les dispositions de l’article VIII des statuts du FMI auquel le Maroc a souscrit en 1993.

-En deuxième lieu, la liberté de transfert des dividendes constitue une composante essentielle des engagements du Maroc à l’égard des investisseurs étrangers, engagements à travers lesquels le Maroc garantit depuis une trentaine d’années à ces investisseurs la liberté de transférer le fruit et le produit de cession de leurs investissements. Par conséquent, le retour sur un engagement étatique affecterait la crédibilité du Maroc et serait très mal perçu par les investisseurs et les bailleurs de fonds étrangers, et partant, aurait un effet inter-temporel très grave. Au contraire, le respect des garanties offertes aux investisseurs étrangers dans une situation extérieure tendue serait une excellente occasion pour le Maroc pour démontrer l’effectivité de ces garanties.

 

 

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