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« On ne peut pas parler de styles de direction spécifiques au Maroc »

ENTRETIEN Hayat EL Adraoui Professeur-Chercheur en GRH et Stratégie au Groupe ISCAE

 Quelle est la valeur ajoutée de votre nouvelle publication ?

Immédiatement après ma soutenance en 2015, j’ai eu l’ambition de faire en sorte que ce travail de recherche inspire l’objet d’un ouvrage. D’ailleurs, les membres de mon jury me l’ont fortement recommandé, en particulier Mme Aline Scouarnec qui a siégé dans mon jury de thèse. Une sommité dans le domaine de la GRH. Sa présence était une importante preuve de reconnaissance de la qualité de mon travail, qu’elle n’a pas hésité à qualifier de ‘travail faisant date au Maroc’. Mon objectif était donc de donner une vie à ma thèse après la soutenance, vie qui va au-delà de la simple publication d’articles scientifiques. Parallèlement, à partir de 2017, mes premières chroniques ont commencé à voir le jour… Mes publications ont été appréciées dans les réseaux sociaux et m’ont permis de développer un lectorat.

La vraie valeur ajoutée de ce travail, en plus d’une synthèse sur les principales conclusions sur mon travail de recherche, est de montrer combien il est essentiel d’investir dans l’humain en indiquant des pistes de réflexion sur des sujets sensibles et peu abordés.

Le livre a une teinte marocaine. Peu d’ouvrages ou de recueils mettent de l’avant cette dimension culturelle et spécifique du pays surtout qu’il s’agit d’une spécialité qui est liée au sol. Les livres de GRH sont, pour la majorité, des supports de transmission des pratiques techniques qui fonctionnement ailleurs. Voilà un peu ce qui différencie mon travail du reste.

Quel regard portez-vous sur les styles de direction des Ressources Humaines au Maroc ?

On ne peut pas parler de ‘styles de direction spécifiques au Maroc’. Et c’est justement là que le bât blesse. Mon souhait est de pousser le manager marocain à dynamiser sa contribution et à quitter le rôle de ‘suiveur’. Les résultats de mes analyses font ressortir qu’au Maroc, le décalage qui existe entre les multinationales et les entreprises nationales rend leur autonomie peu évidente. Car l’application de stratégies définies au niveau des sociétés mères réduit les capacités des filiales à contextualiser les choix des politiques de gestion. Mais, il s’agit aussi d’une position qui leur attribue un rôle de véritable locomotive en contribuant à la diffusion de nouvelles pratiques au Maroc. Mes analyses montrent que le manager RH des entreprises nationales se heurte encore dans son quotidien à la difficulté d’élargir son périmètre d’action et de rendre sa contribution plus visible. Car il se situe souvent au second rang dans la participation au pilotage et à la définition des orientations stratégiques…  Son autonomie dans la prise de décision semble encore peu effective en l’absence d’arguments scientifiques et économiques appuyant ses choix. Cet écrit vient donc soutenir ses capacités à construire des méthodes de travail contextualisés et efficaces qu’il peut défendre auprès de son management.

Selon nos informations, l’accès et la promotion interne aux postes supérieurs est fonction de la variable de flatter servilement et non pas de la méritocratie. Qu’en pensez-vous ?

Je consacre à cette question tout un chapitre (ch.9). L’analyse proposée explique les variations du vécu des cadres marocains et ce sentiment de plafonnement de carrière qui peut les affecter pour différentes raisons…

Quand le management propose une évolution de carrière à un cadre dans une structure, c’est que la hiérarchie a confiance en lui et en ses capacités à respecter la volonté du management. Dans la plupart des cas, le cadre marocain est conscient de ce mode de fonctionnement. Accéder à des fonctions de top management exige aussi des talents particuliers, comme la capacité à bien communiquer avec ses collaborateurs et sa hiérarchie.

L’évolution du niveau de l’opérationnel vers le middle management est généralement ouverte. Elle est basée essentiellement sur la compétence technique et sur le développement en parallèle des compétences comportementales et managériales. Ceci dit, il existe au Maroc des cadres qui choisissent de se réfugier dans des postes opérationnels.

Dans les structures publiques et semi publiques, la gestion des fins de carrière et des promotions est souvent biaisée par la subjectivité des décideurs. Des affinités professionnelles, personnelles, de caractère, d’origines ethnique et sociale et/ou d’expériences vécues viennent forcement interférer avec cette règle d’égalité pour tous…

 

La GRH n’assume-t-elle pas une part de responsabilité dans la fuite des cerveaux au Maroc ?

Ma réponse est Oui. L’effet des politiques de GRH sur ce qu’on appelle communément la fuite des cerveaux est établi. Je pense qu’une remise en cause de nos systèmes de management des RH et des programmes d’intégration des jeunes recrues afin de s’assurer de répondre à leurs attentes surtout ceux qui sont hautement qualifiés permettrait de limiter les dégâts.

Les statistiques indiquent que le choix de migrer est le résultat de divers facteurs dont la différence de rémunération et les possibilités d’apprentissage et d’évolution de carrières. Sans oublier, l’importance d’aider les jeunes à se projeter en s’appuyant sur des exemples qui réussissent grâce à des parcours nationaux. Qui sont aujourd’hui les grands managers, les sommités, les stratèges ? En majorité, ils sont des profils qui ont été formés ailleurs. Cela n’aide pas non plus le jeune marocain à se projeter. Il faut que l’université marocaine ‘se réveille’. Promouvoir le secteur privé de l’enseignement supérieur au détriment de l’enseignement public n’est pas la solution…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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