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BIM n’est pas coupable !

  • Pr. Mohammed QMICHCHOU
  • Enseignant-Chercheur à l’Université Ibn Tofail de Kenitra

 

 

 

 

L’accord de libre-échange (ALE) entre le Maroc et la Turquie, entré en vigueur le 01/01/2006 et portant à l’origine sur le commerce des biens et comportant une clause évolutive de l’Accord qui prévoit la libéralisation progressive des échanges agricoles ainsi que la libéralisation du commerce des services et le droit d’établissement, a suscité, dès le départ, l’intérêt des analystes et les suspicions et craintes des professionnels.

L’entrée en vigueur de cet accord a été accompagnée d’une percée significative des exportations de la Turquie à destination du Maroc. Ce dynamisme des entreprises turques n’a pas eu d’équivalent de la part des entreprises marocaines, ce qui va entraîner un déficit commercial chronique et de plus en plus profond avoisinant les 1,7 milliards de $ en 2018.

En s’aggravant, le solde de la balance commerciale du Maroc avec la Turquie va devenir de plus en plus inquiétant au point que beaucoup de voix se sont élevées pour s’interroger sur l’opportunité d’un tel accord.

Si les effets macroéconomiques n’avaient rien de particulier pour une économie souffrant d’un déficit commercial global structurellement déficitaire, ce sont les manifestations méso et microéconomiques, touchant certains secteurs comme le textile-habillement et la distribution, qui ont remis la question sur la sellette. Ainsi, les difficultés et même les faillites de nombreuses unités de textile et les déboires du secteur traditionnel de la distribution des produits alimentaires (épiceries des quartiers) ont rendu urgent une intervention de l’État.

C’est dans ce contexte que des enseignes de distribution dans le prêt-à-porter (LC WAIKIKI) et dans la distribution alimentaire (BIM) ont été pointées des doigts, rendues coupables de cette situation alarmante et même accusées de dumping commercial.

Le cas de BIM n’est que l’arbre qui cache la forêt. Cette enseigne de distribution a peut-être tiré profit de l’ALE Maroc-Turquie, chose que les entreprises marocaines étaient aussi censées faire, mais c’est surtout son modèle économique qui constitue la vraie explication de son succès commercial retentissant. L’enseigne turque a bien compris que le marché marocain était un “marché de prix” caractérisé par un pouvoir d’achat faible et qui se dégrade. Elle s’est alors positionnée comme un “discounter” proposant des prix défiants toute concurrence, plus particulièrement ceux pratiqués par le secteur traditionnel. Elle a aussi su faire face aux autres enseignes de distribution moderne (grandes surfaces alimentaires) en jouant la carte de la proximité à travers l’implantation de ses points de vente dans les quartiers résidentiels. Elle dispose actuellement du premier réseaux (en nombre de points de vente) de distribution alimentaire du pays. Elle a aussi réussi à concevoir un assortiment réduit mais répondant aux besoins quotidiens essentiels du consommateur marocain et a tissé un réseau de relations privilégiées avec des fournisseurs locaux, nationaux et étrangers.

Pour ne pas aller jusqu’à dire qu’à l’origine l’accord commercial a été mal négocié, il est important d’émettre à cet effet un certain nombre de remarques sur le secteur de la distribution alimentaire traditionnel qui souffrait de problèmes structurels liés :

  • À la taille des unités commerciales restées très petites et un niveau de capitalisation très faible,
  • Au caractère familial de ces commerces et le niveau faible de qualification et de maîtrise de techniques de management et de merchandising,
  • Aux conditions d’achats et d’approvisionnement de ces commerces et l’absence des groupement de détaillants pour les améliorer,
  • À la léthargie du secteur et la quasi-absence d’efforts de modernisation pour accompagner les changements dans les comportements d’achat et de consommation des marocains,
  • Aux efforts très timides et non généralisés de l’État pour la mise à niveau et la modernisation de ce secteur,

Autant d’explications du succès des uns et de la régression d’autres. Situation, qui, étant prévisible, demanderait une intervention plus en profondeur pour s’interroger sur les conditions, macro, méso et microéconomiques de la compétitivité d’un secteur économique très important en termes d’emploi et d’entrepreneuriat.

Il est peut-être temps pour nos responsables d’arrêter de jouer aux pompiers et de se pencher sur les conditions de la compétitivité des entreprises et de l’économie nationale. Renégocier les termes de l’accord ne pourra pas arranger les choses et encore moins asseoir les conditions d’une compétitivité durable de l’entreprise marocaine. A bon entendeur, salut !

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