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R&D: Au-delà de l’innovation inversée!

  • Par Jean-Michel Huet
  • Associé BearingPoint

 

 

« Reverse Innovation, create far from home, win everywhere »(1) . Vijay Govindarajan et Chris Trimble développent ainsi dans leur ouvrage un concept désormais solidement ancré dans le monde académique, celui d’innovation inversée. Concept séduisant intellectuellement, il souffre cependant d’un manque de cas concrets permettant de le vérifier empiriquement. La critique est aisée, car le concept en soi a moins d’une décennie et analyser les résultats de processus d’innovation a fortiori à l’échelle mondiale, peut prendre du temps. Cependant, l’apport de ce concept est peut-être avant tout de nous avoir appris à regarder différemment l’innovation à l’échelle mondiale.

Dans les modèles classiques, la R&D était la chasse gardée de la maison mère située dans un pays occidental. Cette logique est remise en question et les directions prennent conscience que les équipes locales sont plus à même de comprendre les besoins des consommateurs locaux. Les grandes entreprises internationales délocalisent donc de plus en plus leurs services d’ingénierie et d’innovation, et la part de la R&D mondiale issue des pays en voie de développement augmente. Par ailleurs, les produits issus de l’innovation inversée s’adressent d’emblée à un marché de masse, sans passer par l’étape « lead users » ou « early adopters ». La rentabilité est atteinte d’office via un effet de masse sur un produit à très faible marge et le marché adressé dans la plupart des cas est celui du « Bottom of Pyramid » (ou « BoP »)2 .

Cependant, force est de constater qu’il existe peu de cas concrets d’innovation inversée. L’exemple souvent cité est le m-paiement en Afrique, mais il demeure encore aujourd’hui est un exemple – remarquable – d’innovation frugale, mais pas inversée.

Le concept d’innovation inversée n’est pas pour autant à jeter. Il faut peut-être le renforcer par une approche plus « systémique ». Dans ce modèle les flux d’idée, d’innovation, vont dans les deux sens, il n’est plus question de savoir si l’innovation vient du nord ou du sud, car c’est en fait une boucle permanente d’amélioration en prenant en compte les apports, adaptés aux contextes, des différentes typologies de clients / utilisateurs. Les idées des pays développés comme des pays émergents s’enrichissent mutuellement et les usages aussi. C’est une vraie logique systémique.

Du côté des pays émergents, il convient de reconnaitre, notamment avec le numérique, un renforcement de l’innovation sans précédent. Le cas du m-paiement est illustratif puisqu’il a été créé par les opérateurs télécoms européens avec les systèmes audiotel puis adapté au contexte mobile des pays pauvres avec le paiement mobile tel que développé en Afrique depuis 10 ans. La boucle est bouclée … provisoirement ! Autre exemple la blockchain, développée en Asie, connaissant un grand succès dans les pays développés, mais avec des applications nouvelles en Afrique avec par exemple les premières élections au monde par blockchain en Sierra Leone ou le cas du Burkina Faso qui va utiliser la blockchain, via la KfW allemande, pour suivre les décaissements des projets financés par des bailleurs de fonds.

Ces modèles sont réplicables ailleurs sous -réserve de les contextualiser, adapter au local et anticiper une boucle retour possible vers les pays plus matures. L’innovation se mondialise en fait, phénomène récent sur des cycles très courts, mais tendance de fond !

 

Références

1-Vijay Govindarajan, Chris Trimble, Indra K. Nooyi , Reverse Innovation: Create Far from Home, Win Everywhere,  Harvard Business Review Press, 2012

2- « Base of the Pyramid » ou « BoP » : concept développé notamment par l’indien C.K. Prahalad, dans son ouvrage «  The fortune at the Bottom of the Pyramid ». Il s’agit d’adresser la classe socio-économique des moins riches qui représente plus de 4 milliards d’individus vivant avec moins $2,5 par jour.

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