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Le regrettable jeu de go de l’impayé

  • Par Stéphane Colliac 
  • Economiste senior chez Euler Hermes

 

 

Le Maroc devrait continuer de subir en 2020 la détérioration du contexte international. Le commerce mondial de biens diminue en volume depuis trois trimestres, et le Maroc n’est pas parvenu à rester complètement à l’écart de cette tendance. Une cause fondamentale tient dans l’identité du maillon faible : c’est l’Europe qui, une nouvelle fois, voit sa croissance décliner dangereusement, tant et si bien qu’elle devrait à peine atteindre les +1% en 2020.

L’une des causes fondamentales du repli de la croissance européenne provient de l’automobile, le secteur dont la production s’est largement développée au Maroc ces dernières années et qui est même devenu le premier secteur à l’exportation. Plus globalement, c’est l’ensemble des exportations marocaines qui auront nettement moins progressé cette année et l’année prochaine : une croissance de 10 milliards de dirhams est attendue en 2020, quand les exportations progressaient de 25 milliards de dirhams par an en 2017/2018.

L’automobile subit des défis multiples, qui ont peu à voir avec le Maroc, mais ceux-ci impliquent aujourd’hui des surcapacités globales dans le secteur, au regard des ventes qui déçoivent au niveau européen et dans le Monde : l’effet des normes d’émission de Co2 est évidemment majeur, puisque les constructeurs n’y sont pas tous bien préparés et que certains ménages ont choisi de ne plus acheter les véhicules actuels en raison du malus à l’achat et du risque de perte de valeur du véhicule ultérieurement sur le marché de l’occasion.

9000 défaillances d’entreprises en 2020

Le contexte extérieur s’est certes dégradé, mais il y a, à la limite, pire que cela : les défaillances d’entreprises augmentent à nouveau au Maroc, alors même que leur niveau est déjà très élevé. Ainsi, en 2019, les défaillances d’entreprises devraient augmenter de +7%, puis encore de +5% en 2020 et dépasser la barre symbolique de 9.000 entreprises défaillantes sur une année calendaire en 2020.

Ce que subissent les entreprises marocaines a un nom : les délais de paiement. Lors de la dernière année pour laquelle l’ensemble des bilans d’entreprises a été publié (2018), les délais de paiement sont apparus en hausse, atteignant 84 jours de chiffre d’affaires (+2 jours par rapport à 2017). De plus, les entreprises marocaines ont vu une augmentation de leurs  stocks de près de 10 jours en raison de la diminution de la demande (à l’international et au Maroc).

Nombre d’entreprises n’ont pas pu trouver la trésorerie rendue nécessaire par cet environnement et n’ont donc pas eu d’autre choix que de se déclarer en défaillance. Ceci, malgré diverses initiatives et même des lois, ne peut qu’interroger.

Des réformes incomplètes

Le Maroc a en effet beaucoup réformé ces dernières années, ce qu’une place de 53ème dans le dernier classement Doing Business vient de récompenser. Il y est facile aujourd’hui de créer une entreprise, nettement plus facile que dans l’ensemble des pays voisins d’exporter et les procédures de résolution de l’insolvabilité ont été largement améliorées. Toutefois, il est un domaine dans lequel les progrès sont absents et le Maroc reste moins accueillant que nombre de pays africains : l’accès au crédit et, en règle générale, le financement du cycle d’exploitation. Le premier des manques, ici, tient dans le faible niveau d’information financière (accès aux bilans des entreprises notamment). Cette information existe pour moins du tiers des entreprises marocaines (31,6%) et elle est dans tous les cas payante, là où même dans nombre de pays d’Afrique une information gratuite (partielle) existe. Lorsqu’une entreprise n’a pas d’information financière sur sa contrepartie, elle a tendance à réclamer un paiement au comptant. C’est le cas de 30% des transactions au Maroc selon les estimations d’Euler Hermes. De deux choses l’une : si la même entreprise doit payer ses fournisseurs en cash et doit dans le même temps attendre parfois 150 jours pour être payée par ses clients, elle ne peut survivre.

Aujourd’hui, les start-ups marocaines sont condamnées à une mort rapide et en masse : c’est la raison pour laquelle la croissance du Maroc est de +2,5% par an en moyenne, malgré un taux d’investissement de plus de 30% du PIB. L’innovation et le talent sont purement et simplement gâchés.

L’information financière est la clé

Toute amélioration des délais de paiement ne pourra provenir que d’une meilleure information et une fois cette information digérée d’un crédit à même de financer les transactions et de les garantir, en cas de problème. Il n’est jamais inutile de rappeler que toutes ces fonctions font partie intégrante de l’assurance-crédit.

Un assureur-crédit va d’abord communiquer avec ses clients sur la qualité du bilan et les comportements de paiement passés et futurs de ses acheteurs, l’aidant à sélectionner les bonnes contreparties, puis lui accordera des garanties sur ses transactions qui apparaissent viables, c’est-à-dire faites avec des acheteurs dont la probabilité de paiement est raisonnable. In fine, en cas de non-paiement l’assureur-crédit pourra être conduit à indemniser et recouvrer tout ou partie de la créance.

C’est avec une assurance-crédit qui couvre un montant significatif de transactions que des entreprises peuvent vivre avec des délais de paiement élevés et espérer limiter la transformation de ces délais de paiement élevés en défaillances. C’est le cas en France et en Italie par exemple.

Ce que nous montre la trajectoire comparée des défaillances d’entreprises et de la croissance économique au Maroc, c’est que cette dernière ne pourra pas raisonnablement décoller tant que les défaillances seront aussi élevées. Une bonne information financière est indispensable pour recoller les morceaux.

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