- Par Dr MOUSSAYER KHADIJA
- Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie en libéral
- Présidente de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS)
Le ramadan est en général sans danger pour les pratiquants et l’âge n’est pas en soi un obstacle à son bon respect. Il existe des contre-indications absolues (quel que soit l’âge) en cas de diabète traité à l’insuline et non équilibré, d’insuffisance rénale, de maladie cardiaque… et de toute autre pathologie ne supportant pas un jeûne même court. Il est sage, en tout état de cause, de faire le point avec son médecin traitant pour ne pas mettre sa santé en péril, et de faire preuve de responsabilité, surtout après 75 ans où le jeûne est plutôt à déconseiller. Les personnes âgées (PA) de plus de 60 ans (ainsi que leur entourage) doivent par contre savoir que leurs « paramètres » physiologiques, très différents d’une personne plus jeune, les obligent à plus de vigilance. Passons en revue toutes ces évolutions du corps et ce qu’elles impliquent.
Le manque d’appétit fréquent chez la personne âgée : un pari parfois risqué avec le Ramadan
Les personnes âgées ont souvent tendance à diminuer leur apport alimentaire sans que leurs besoins énergétiques ne soient réduits. Ce manque d’appétit qui survient avec l’âge est en partie dû notamment à l’altération des perceptions des odeurs et du goût (qui stimulent ainsi moins). La capacité discriminative s’affaiblit d’où une difficulté à identifier et apprécier les aliments. Le seuil de détection des 4 saveurs de base est ainsi augmenté en moyenne de 11,6 fois pour le salé, 7 pour l’amer, 4,3 pour l’acide et 2,7 pour le sucré par rapport à un individu jeune ! Contrairement aux idées reçues, les besoins énergétiques de la PA sont presque identiques à ceux de l’adulte jeune : 2000 kcal/j pour l’homme et 1800 kcal/j pour la femme contre respectivement 2800 et 2200 à 30 ans. De ce fait, la conjonction d’une baisse de l’appétit et l’observation de longues heures de jeune peuvent compromettre l’état nutritionnel de la PA et mener à une spirale de conséquences fâcheuses. La PA ne doit donc pas restreindre sa consommation alimentaire habituelle après la rupture du jeûne sans d’ailleurs verser dans des excès tout aussi nocifs (quel que soit l’âge !)
Une grande vigilance à l’égard des troubles de l’hydratation
La PA a tendance naturellement à baisser ses apports en eau, le seuil de perception de la soif s’émoussant aussi avec l’âge. Les pertes en eau de la PA sont aussi plus importantes à cause de la plus forte résistance du rein à l’action d’une substance qui limite les pertes en urine (l’hormone antidiurétique). De plus, les mécanismes de régulation sont moins bien assurés, et l’élimination des surplus de sucre ou de sodium s’accompagne d’une plus grande perte en eau. L’équilibre hydrique est également menacé par certains médicaments (diurétiques, neuroleptiques…). Pour toutes ces raisons, les besoins en eau de boisson sont toujours plus élevés chez la PA que l’adulte jeune (1,7 l/j contre 1,5l/j), d’autant plus que les signes d’une déshydratation, en particulier lors du ramadan, sont souvent tardifs et pas toujours faciles à interpréter. Ainsi, des manifestations de somnolence brusque, de troubles neuromusculaires, de constipation… ou d’accélération du rythme cardiaque doivent conduire à une réhydratation d’urgence… et cela sans perdre son temps à « discuter » de la part de la personne et/ou de son entourage.
Attention à la diminution du capital musculaire
Le capital musculaire diminue chez la PA, ce qui aggrave l’état nutritionnel et d’hydratation. Les réserves en eau (73% de l’eau totale du corps sont stockés dans les muscles) baissent en effet corrélativement à la diminution de la masse musculaire (17% du poids du corps à 70 ans contre 30% à 30 ans). Ce phénomène, la sarcopénie, a des répercussions considérables par les faiblesses qu’il provoque : risques infectieux par baisse des réserves protéiques nécessaires aux défenses immunitaires, chutes et fractures éventuelles compromettant l’autonomie de la PA… Pour éviter l’aggravation de la fonte musculaire, l’apport nutritionnel conseillé en protéines (viandes, poissons …), et en particulier lors du ramadan, doit être supérieur à celui de l’adulte jeune : 1 à 1,2 contre 0,8 à 1g/kg/j, soit 12 à 15 % des nutriments.
Une qualité du sommeil à préserver
Le sommeil se modifie avec l’âge tant par sa structure que par sa qualité. Son temps total diminue et il devient moins efficace, car plus fragmenté par des réveils nocturnes fréquents. L’observation du ramadan ne doit pas se faire en complète rupture avec une bonne hygiène de vie et donc de sommeil.
Il faut donc, autant que possible, essayer de conserver une heure de coucher et de lever régulière, de consacrer une heure de sont temps l’après-midi, à une sieste réparatrice, de pratiquer une activité physique et de s’exposer (sans excès) à lumière naturelle durant la journée. Les boissons contenant des excitants (café, thé) ainsi que le tabac sont à éviter ou à consommer de façon minime. Pas non plus d’abus de nourriture toute la nuit qui va ensuite perturber ce sommeil. La bonne règle en ce domaine est de prendre un petit déjeuner très consistant avant le lever du soleil, de faire un repas léger au moment de la rupture et d’en faire un autre 3 heures après.
Les médicaments et le jeûne: un arbitrage raisonnable entre deux éléments contradictoires
Les médicaments restent en plus grande quantité et plus longtemps dans l’organisme d’une personne âgée. Leur élimination rénale ralentie, leur accumulation dans les graisses et leur passage plus agressif dans le cerveau rendent de fait les PA beaucoup plus fragiles face aux médicaments. Ainsi, le paracétamol s’élimine deux fois plus lentement, le diazepam (valium), quatre fois plus lentement : il faut 80 heures – 3 jours ! – pour éliminer la moitié de la dose donnée de ce dernier médicament qui, avec une prise quotidienne, peut s’accumuler jusqu’à l’intoxication. L’observance du ramadan se révèle ainsi toujours problématique face à la prise de médicaments, même anodine en apparence. Surtout quand on sait que l’intoxication médicamenteuse est responsable d’un tiers des hospitalisations des PA dans les pays développés ! Une étude réalisée en France en 2015 par l’association et revue renommée Que Choisir a même montré que 40 % des prescriptions médicales pour les PA étaient inappropriés et donc potentiellement dangereuses !
La bonne perception de tous ces risques que connaissent les PA, de par leurs changements physiologiques, lors du ramadan, n’est aussi malheureusement encore pas toujours bien appréhendée par l’ensemble des professionnels de santé au Maroc. La gériatrie, c’est-à-dire la médecine de la personne âgée et de ses maladies, n’est apparue en effet que très récemment dans notre pays, avec la décision du ministère de la Santé, dans les années 2000, d’envoyer en France une quinzaine de spécialistes en médecine interne pour acquérir cette formation en gériatrie. C’est donc encore une science médicale presque inconnue du grand public, même si plusieurs dizaines de médecins généralistes ont aussi maintenant une orientation « gériatrie », grâce à des formations complémentaires.
Pour en savoir plus :
– Moussayer K. Nutrition et personnes âgées, Quand on avance en âge, mieux vivre c’est mieux se nourrir Doctinews N° 25 Août/Septembre 2010 http://www.doctinews.com/component/content/article/39-dossier/251-nutrition-et-personnes-agees-lquand-on-avance-en-age-mieux-vivre-cest-mieux-se-nourrirr
– Moussayer K . Seuil de la vieillesse : comment le déterminer Doctinews N° 91 Août-Septembre 2016
https://www.doctinews.com/index.php/doctinews/institutionnel/item/5078-seuil-de-la-vieillesse
– Halte à l’overdose pour les personnes âgées ! Que Choisir Santé 28/01/2015
– 30% des hospitalisations chez les personnes âgées liées à une médication inappropriée, Communiqué Université catholique de Louvain (UCL) 30 septembre 2016