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Transformation numérique : Les mises en garde de Jouahri

 

Voici  des extraits du discours de Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib, prononcé lors de de la conférence internationale, organisée à Rabat le 13 mars 2019, sur «La Transformation Digitale : Opportunités et Risques liés à la FinTech».

 

Malgré la multiplicité des études et des évaluations, l’impact de cette révolution n’est pas encore bien cerné. Il se fera vraisemblablement sentir négativement au niveau du marché du travail. D’ailleurs l’une des études les plus importantes dans ce sens, réalisée en 2013 par deux chercheurs d’Oxford sur le cas des Etats-Unis, montre que 47% des emplois sont à risque de disparition. Dans les pays émergents et en développement, cette proportion est beaucoup plus élevée, ces mêmes chercheurs l’ayant estimée en 2016 à 69% en Inde, à 77% en Chine et à 85% en Ethiopie.

Concernant ses effets sur la croissance, ils ne sont pas clairement démontrés, on parle même d’un paradoxe de la productivité, celle-ci connaissant dans quelques pays avancés une certaine décélération depuis le milieu des années 2000 malgré les innovations technologiques.

La mesure même du PIB est impactée, la prise en compte de certaines activités engendrées par la technologie telles que les services fournis à soi-même en recourant aux plateformes en ligne étant un véritable défi pour les instituts de statistiques. De même, les niveaux d’inflation seraient surestimés en raison de l’amélioration de la qualité des biens et services qui ne serait pas intégrée dans leur calcul.

La production et l’utilisation de la donnée est également un champ qui connait des changements importants induits par cette révolution. Les Big data que génèrent les nouvelles technologies sont au cœur des stratégies des acteurs économiques et sociaux aussi bien publics que privés.

Leur exploitation prend de multiples formes, personnalisation des services, ciblage des messages pour orienter le comportement du consommateur ou de l’opinion publique de manière générale… Le cas de Facebook-Cambridge Analytica lors des dernières élections présidentielles américaines nous offre une illustration édifiante à cet égard.

En revanche, un domaine où l’impact est largement positif est celui des procédures administratives, comme le paiement des taxes. Les gains sont multiples, réduction des coûts et des délais, mais aussi renforcement de la transparence et lutte contre l’évasion fiscale et la corruption.

Pour résumer, je rappellerai l’une des principales conclusions de l’édition 2016 du rapport sur le développement dans le monde de la Banque Mondiale consacré à ce qu’elle a appelé le dividende digital. Les technologies et les innovations numériques ont certes contribué à améliorer la croissance et l’offre de services en réduisant substantiellement les coûts des transactions économiques et financières, mais l’impact agrégé reste encore limité et inégalement distribué.

Les modèles d’affaires traditionnels des banques sont aujourd’hui interpelés par le développement de nouveaux modes de financement, mettant davantage de pression sur leur rentabilité et les poussant dans certains cas à une plus grande prise de risque, ce qui ne serait pas à terme sans conséquence sur la stabilité financière.

Ceci dit, c’est également dans le secteur financier que les risques sont les plus variés et les plus importants, notamment en ce qui concerne le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, la cybersécurité, ainsi que la protection du consommateur et des données à caractère personnel, autant de risques devenus des préoccupations majeures non seulement au niveau national mais également international.

Pour nous, banques centrales en particulier, les changements apportés par la Fintech nous interpellent à plusieurs égards et notamment au niveau de nos missions fondamentales. Même le monopole de l’émission de la monnaie est aujourd’hui concerné, amenant certaines banques centrales à explorer l’opportunité d’émettre une monnaie digitale, ce qui permettrait notamment la réduction du coût de production et d’utilisation des billets de banque traditionnels et minimiserait les risques d’insécurité qui y sont liés.

Pour citer d’autres exemples, j’évoquerai le champ de supervision financière qui s’élargit progressivement avec l’entrée en activité de nouveaux acteurs et de nouveaux produits financiers, qui n’est, par ailleurs, pas sans conséquences sur la transmission de la politique monétaire.

Les pays émergents et en développement en particulier, doivent non seulement répondre à leurs besoins mais pour nombreux d’entre eux, faire face également au phénomène de « fuite des cerveaux » qui semble connaitre une recrudescence ces dernières années. Face à une telle donnée, le renforcement de la coopération régionale et internationale, en vue de la mutualisation des efforts et l’échange d’expériences, permettrait notamment d’éviter que cette révolution n’accentue la fracture numérique entre ces pays et ceux avancés.

Enfin, le bénéfice réel de ces politiques et des efforts qu’elles requièrent reste tributaire de la réceptivité des populations, des opérateurs économiques et financiers et des responsables politiques à l’adoption des technologies digitales, parce qu’en définitive, c’est un véritable changement de culture qui devrait être opéré.

Nous devrions d’abord saisir l’opportunité qu’offre la Fintech pour réduire, en collaboration avec les parties prenantes, les déficits et les écarts en matière d’inclusion financière, notamment au profit des jeunes, des populations rurales et surtout des femmes.

Pour ce qui est de la réglementation, nous sommes appelés à laisser suffisamment d’espace à la créativité et au développement de la Fintech, mais en même temps, préserver et renforcer la résilience de nos systèmes financiers et protéger le consommateur et l’entreprise, en particulier celles de petite taille. C’est un équilibre difficile qui suppose une identification des risques et leur classification et une anticipation des effets potentiels des innovations et des nouvelles activités financières.

Parfois, les Banques centrales sont appelées à concevoir des solutions provisoires en l’absence d’attribution statutaire, comme c’est le cas pour les crypto-actifs. Nous avons été interpelés à cet égard ici au Maroc en 2017 et avons dû approcher le problème par l’angle de la protection du consommateur pour attirer son attention sur les risques qui leur sont associés, mais il faudrait bien préciser que nous n’avons pas pris de position définitive sur la question.

Enfin, nous sommes appelés en tant qu’entreprises à nous adapter nous-mêmes à cette transformation numérique. Cela commence d’abord par renforcer nos ressources humaines dans ce domaine et nos infrastructures notamment les systèmes d’information dont la résilience à la cybercriminalité est devenue une préoccupation au quotidien.

A cet égard, nous avons mené à Bank Al-Maghrib dans le cadre de l’élaboration de notre plan stratégique 2019-2023, une réflexion approfondie et venons de définir une feuille de route pour notre propre transformation numérique. Nous visons l’adaptation de nos métiers, la réingénierie de nos processus, mais nous œuvrons également par une approche participative à jouer un rôle dans le développement et l’accompagnement de notre écosystème.

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