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Élections au Maroc: Voilà pourquoi un scénario à l’américaine échoue

Le mot de Tafra

Si la compétitivité parlementaire au niveau national est forte, cette étude démontre qu’au niveau local elle fut plus modérée, notamment par l’effet du système électoral proportionnel en usage au Maroc. Le nombre élevé de circonscriptions de faible importance est l’élément du système électoral qui contribue le plus à accroître la fragmentation des partis et par conséquent, à réduire la compétitivité entre les deux principaux concurrents. Un scénario à l’américaine, avec deux grands partis en compétition, est difficilement envisageable au Maroc. La nature centripète du champ politique, qui doit toujours se situer dans les limites marquées par la monarchie, les alliances fluctuantes et capricieuses pour gouverner, de même que l’intrusion régulière du pouvoir, comme lors du blocage de la formation du gouvernement après les législatives de 2016 par le Rassemblement National des Indépendants (RNI), contribuent à la fragmentation continue du champ politique et à une baisse de la compétitivité entre les partis.

Analyse de la compétitivité entre le PJD et le PAM lors des élections législative de 2016 par Inmaculada Szmolka, professeure au département de sciences politiques à l’Université de Grenade (Espagne)

Pour beaucoup d’observateurs, les élections législatives du 7 octobre 2016 ont constitué une étape majeure dans le processus de bipolarisation du système politique marocain. Beaucoup décrivent ces élections comme un duel entre le Parti de la Justice et du Développement (PJD, islamiste) et le Parti Authenticité et Modernité (PAM, pro-monarchiste). Le PJD s’y classe premier, avec 125 sièges (31,65 %) tandis que le PAM est deuxième avec 102 sièges (25,82 %), un écart de six points de moins qu’en 2011.

Inmaculada Szmolka, professeure au département de sciences politiques à l’Université de Grenade (Espagne) montre dans cet article que cette dualité au niveau national doit être relativisée. Pour elle, les résultats nationaux ne reflètent pas la complexité des interactions et la dynamique de compétition électorale. En s’appuyant sur les résultats législatifs détaillés de 2016, elle analyse le degré de compétitivité au sein des 92 circonscriptions locales.

Question centrale des études électorales, la compétitivité électorale désigne le degré d’incertitude du résultat d’une élection et se mesure classiquement par la marge de victoire du premier sur le second. Mais pour I. Szmolka, son étude reste limitée.

D’une part, parce qu’elle est considérée comme une variable indépendante qui influe sur divers facteurs des élections (stratégies des partis ou répartition des dépenses), et est rarement analysée en tant qu’élément structurant du champ politique.

D’autre part, elle est examinée uniquement dans les régimes démocratiques, et ce malgré l’existence de régimes autoritaires, qualifiés de « quasi-compétitifs » du fait de partis actifs et d’élections relativement transparentes.

Enfin, elle est mesurée au niveau national, alors que dans le cas d’élections au scrutin proportionnel plurinominal, comme au Maroc, la donne change ; le haut niveau de compétitivité au plan national ne se traduisant pas forcément au plan local.

De fait, les résultats de l’étude montrent que ce degré de compétitivité est généralement très faible entre le PJD et le PAM et dans la plupart des cas, les islamistes ont un fort avantage sur le PAM.  Par ailleurs, il apparait que le système proportionnel utilisé dans un grand nombre de circonscriptions de faible importance a permis à d’autres partis de tirer leur épingle du jeu. Ce qui a eu pour effet d’accroître la fragmentation parlementaire et ainsi réduire la concurrence entre ces deux partis.

Un système politique fragmenté

Le Maroc a un système multipartite fragmenté, héritage d’une stratégie historique de la monarchie pour éviter la concurrence d’un parti dominant. Pour l’auteur, le royaume constitue un modèle-type de régime autoritaire quasi-compétitif.  En 2016, 26 partis et une coalition participent aux législatives dans un processus jugé relativement transparent mais avec un faible taux de participation (42,29 %). Moins de la moitié d’entre eux – 12 – ont obtenu des sièges.

Depuis 2002, le système majoritaire uninominal a laissé place à un système de scrutin proportionnel plurinominal, aussi appelé « scrutin de listes ». Les sièges au parlement sont attribués selon la méthode proportionnelle « du plus fort reste ». Dans ce système, il n’y a pas qu’une seule course électorale mais une dans chaque circonscription. Les partis doivent obtenir un certain nombre de voix pour obtenir des sièges.

En 2016, le Maroc est divisé en 92 circonscriptions comprenant 62 provinces et 13 préfectures (dont certaines sont divisées en plusieurs circonscriptions), en plus d’une circonscription nationale – la liste nationale des femmes et des jeunes- de 90 sièges, soit un total de 395 sièges. La répartition des sièges dans les circonscriptions locales est fixée par décret ministériel avant les élections en fonction des critères de population et de représentativité.  Le scrutin proportionnel résiduel utilisé dans un grand nombre de circonscriptions de faible importance favorise le multipartisme et réduit la compétitivité. De ce fait, il est presque impossible pour un parti d’obtenir la majorité absolue à la Chambre des représentants, rendant difficile le scénario d’un parti dominant au Maroc.

Forte concentration des votes et diminution de la fragmentation parlementaire

A la veille du scrutin législatif de 2016, PAM et PJD apparaissent comme les vainqueurs potentiels. Les résultats électoraux des élections communales et régionales du 4 septembre 2015 laissent en effet présager un duel serré. Le PAM y a remporté la majorité des sièges dans les conseils communaux en milieu rural, tandis que le PJD a obtenu la majorité des voix dans les zones urbaines. Ce dernier a également remporté les élections régionales en nombre de voix mais n’assure que deux présidences de région, tandis que le PAM en a obtenu cinq grâce à des jeux d’alliances.

La forte compétitivité parlementaire entre ces deux concurrents est confirmée par les résultats des législatives. Le PJD arrive premier, secondé de près par le PAM qui, avec 102 sièges, connaît la plus forte progression (il en avait obtenu 47 en 2011). A eux deux, ils raflent 57,47% des sièges, alors que lors de la précédente législature, le PJD et son allié l’Istiqlal n’en avaient obtenu que 42,3%.

Cette concentration des votes a pour conséquence une diminution de la fragmentation parlementaire, comme le montre la mesure de l’indice de fractionnement de Rae, un indice qui sert à calculer le nombre de partis ayant obtenu des votes et à mesurer le degré de pluralisme politique[1]. Le nombre effectif de partis tombe de 6,6 en 2011 à 5 en 2016, passant ainsi d’un multipartisme extrême à un multipartisme modéré.

Localement, une compétitivité électorale plus modérée

Si la compétition au niveau local s’est jouée principalement entre le PJD et le PAM, le degré de compétitivité y apparait modéré. Ainsi, dans 7 circonscriptions sur 10 (69,56 %), le scrutin a été remporté par l’un des deux. Le PJD s’est classé premier dans 40 circonscriptions (43,47 %), le PAM dans 24 (26,09). De même, on constate que les deux partis ont été soit vainqueur soit second dans 40 circonscriptions (42.48 %). Enfin, PJD et le PAM ont remporté ensemble tous les sièges en jeu dans 16 districts (17.39 %) : c’est notamment le cas dans plusieurs circonscriptions de Casablanca (Al-Fida-Mers Sultan, Hay Hassani, Aïn Chok, Sidi Bernoussi).

Cependant, le degré de compétitivité standard était généralement très faible et dans la plupart des cas, ce sont les islamistes qui détenaient l’avantage. Ainsi, la compétitivité entre les deux était « très faible » dans 18 districts, « faible » dans quatre, « moyen » dans deux, « élevé » dans six et « très élevé » dans seulement dix districts.

La concurrence des outsiders

Le système proportionnel permet aux petits partis d’obtenir des représentants à la Chambre, ce qui contribue à fragmenter le champ politique et à diminuer la compétitivité entre PJD et PAM.  Dix

autres partis en lice ont ainsi obtenu 126 sièges dans 76 circonscriptions. Dans la majorité de ces cas (80,26 %), ces partis constituaient le premier ou deuxième choix des électeurs. Dans 28 circonscriptions, c’est un autre parti que les favoris qui a remporté le scrutin alors qu’un outsider

est arrivé deuxième dans 33 autres circonscriptions. A l’inverse, dans certaines circonscriptions comme Taourirt, Khénifra ou Guelmim, le PJD comme le PAM n’ont obtenu aucun siège.

La concurrence était généralement très forte dans les circonscriptions remportées par un tiers, avec une différence de voix inférieure à 5 % dans 19 d’entre elles. En revanche, la décision prise avant le scrutin de ramener le seuil électoral de 6 à 3% n’a pas particulièrement accru la représentativité des autres partis à la Chambre des représentants.

Peu de chances d’évolution

Examiner la distance entre le parti ayant obtenu le dernier siège et le parti non élu ayant obtenu le plus grand nombre de voix, permet d’identifier les circonscriptions où un changement des résultats électoraux serait possible. Alors que dans 65 circonscriptions, la différence de vote était inférieure à 5%, seules douze d’entre elles offrent les plus grandes possibilités de changement de vote. Sept impliquent le PJD et le PAM avec une différence de moins de 0,5%. Ce fut notamment le cas à Sidi Ifni où le PJD a remporté le deuxième siège prévu par quatre voix d’écart avec le PAM (0,01 %), et à Ifrane, avec 102 voix d’écart (0,29%). Pour l’auteur, si des élections se déroulaient à nouveau dans les mêmes conditions, le PJD et le PAM n’auraient guère de possibilités d’améliorer leur score, du fait principalement de la nature du système électoral proportionnel.

 

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