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Quel serait l’impact économique de la libéralisation des opérations d’acquisition par les résidents de biens immeubles situés à l’étranger ?

Par Omar Bakkou, économiste spécialisé en politique de changes

Lors du précédent entretien, nous avons interrogé Omar Bakkou au sujet de la pertinence économique des dispositions de la règlementation des changes régissant les investissements à l’étranger des personnes physiques.

En réponse , l’économiste  a indiqué que ces dispositions demeurent trop restrictives.

Pour remédier à ce cadre qualifié de restrictif, Bakkou suggère d’assouplir lesdites dispositions à travers la mise en place d’un cadre libéral en matière d’acquisition par les personnes physiques résidentes de biens immeubles situés à l’étranger.

Ce cadre libéral doit être mis en œuvre de préférence selon une approche graduelle déclinée en trois étapes.

La première étape consiste dans la mise en place d’un cadre libéral en faveur des deux catégories de personnes physiques suivantes : celles ayant des enfants qui effectuent des études à l’étranger et  celles contraintes d’effectuer de longs séjours à l’étranger pour des raisons médicales.

S’agissant de la deuxième étape, elle consiste dans la mise en place d’un cadre libéral en faveur des personnes qui souhaiterait utiliser ledit bien immeuble à titre de résidence secondaire.

Quant à la troisième étape, elle consiste dans la mise en place d’un cadre libéral en faveur des personnes qui souhaiteraient utiliser ledit bien à des fins « spéculatives », c’est-à-dire de valorisation de l’épargne des personnes concernées (location, vente, etc.),et ce,  sous certaines conditions bien définies.

Ces mesures éventuelles de libéralisation sont censées, selon Bakkou, harmoniser le cadre actuel régissant l’acquisition de biens immeubles par les personnes physiques résidentes.

Cet avantage présumé desdites mesures doit bien entendu être confronté à leurs coûts, notamment en termes d’impacts éventuels sur les avoirs de réserve du Maroc.

Cette question fera l’objet du présent entretien.

Quel serait l’impact sur les avoirs de réserve de la libéralisation des opérations d’acquisition de biens immeubles situés à l’étranger ?

Pour bien analyser ce sujet, il est nécessaire d’appréhender avec suffisamment de profondeur « l’équation économique » des dépenses de logement (la demande de logement).

Ces dépenses peuvent en effet être différenciées en deux principales catégories : celles affectées à l’acquisition du logement primaire et celles affectées à l’acquisition du logement secondaire.

L’acquisition du logement primaire (entendu comme le premier logement acheté par un individu) est généralement effectuée dans l’objectif de son utilisation comme résidence principale, c’est-à-dire comme habitation occupée de façon habituelle.

Ce mode d’utilisation a pour implication qu’une personne résidente dans un pays donné achète, quand elle en a les moyens, un logement situé dans le territoire dans lequel réside cette personne. 

Autrement dit, ladite personne ne peut pas habiter de façon permanente dans un autre pays et ne peut pas par conséquent acheter un logement principal situé dans un autre pays.

Cette caractéristique de ce produit (le logement primaire) a pour implication que ledit produit ne peut pas faire l’objet pour des raisons matérielles de transactions internationales.

Cela explique pourquoi le logement primaire fait partie de la vaste liste de produits catégorisés par la littérature économique parmi les « produits non-échangeables sur le plan international » , tels  l’éducation primaire des enfants et les micros services (comme la coiffure), etc.

-Quant à l’acquisition du logement secondaire (entendu comme le deuxième logement acheté par un individu), elle peut être motivée par deux principaux objectifs : sa location à autrui ou son utilisation comme résidence secondaire définie par l’INSEE comme une résidence utilisée pour les week-ends, les loisirs et les vacances. 

 Ce produit  est classé selon la littérature économique dans la catégorie des « produits faiblement échangeables à l’échelle internationale », c’est-à-dire des produits qui font l’objet généralement de faibles transactions internationales et, partant, de faibles dépenses en devises, et ce, comparativement aux dépenses au titre des opérations d’importation de marchandises et de services.

Cette catégorisation s’explique par  deux principales raisons  .

La première raison est lié au fait que l’acquisition du logement secondaire qu’il soit situé dans le pays de résidence de l’acquéreur ou à l’étranger demeure un phénomène minoritaire comparativement à celui du logement principal, particulièrement dans un pays à revenu intermédiaire inférieur comme le Maroc, car cela dépend de l’étendue de la tranche de la population ayant des revenus élevés, laquelle tranche demeure globalement faible au Maroc.

 Cette affirmation est attestée  par les données relatives à la structure des revenus au Maroc, données qui montrent que le nombre de personnes faisant partie de la tranche des revenus élevés ne dépasse pas 10.000 personnes.

Quant à la seconde raison , elle demeure liée au fait que  l’acquisition du logement secondaire situé à l’étranger constitue un phénomène  largement moins important que  celui de l’acquisition de logement secondaire situé dans le pays de résidence de l’acquéreur, du fait  de plusieurs facteurs, notamment l’éloignement géographique (qui rend l’ exploitation du logement couteuse en termes de frais de transport ), l’émergence de plus en plus de produits de substitution (résidence secondaire située dans le pays de résidence de l’acquéreur, offre hôtelière dans le pays et à l’étranger , etc.). 

Ces éléments ont pour implication que les opérations d’acquisition de biens immeubles situés à l’étranger dépendent de facteurs économiques qui limitent naturellement leurs volumes, faisant ainsi que leur libéralisation serait sans impact sur les dépenses globales en devises du Maroc.

Ces éléments plaident ainsi en faveur de la mise en place d’un cadre libéral en matière d’acquisition de biens immeubles à l’étranger par les personnes physiques.

C’est clair, quid du « benchmarking »?

Parmi les 68 pays membres du FMI qui pratiquent encore le contrôle des changes , environ 25 pays disposent d’un cadre soit totalement libéral soit partiellement libéral en matière d’acquisition par les personnes physiques de biens immeubles situés à l’étranger.

Partiellement libéral, cela signifie que les résidents peuvent acquérir des biens immeubles situés à l’étranger dans la limite de certains plafonds bien définis ?

Effectivement , globalement tous les pays de ce panel adopte un plafond par personne par an, à l’exception de la Malaisie qui établit des conditions pour bénéficier d’un régime favorable en matière d’acquisition de logements situé à l’étranger.

Pourriez-vous nous donner une idée sur ces plafonds ?

Ces plafonds sont variables selon les pays.

A titre d’exemple, le plafond le plus élevé est celui établi en Thaïlande (10 millions USD par personne par an).

Tandis que, lesdits plafonds sont variables pour les autres pays :   400.000 USD par personne par an (l’Afrique du Sud, le Swaziland ,  la Namibie, etc.), 250.000 USD(en Inde)  , 180.000 USD (les pays de la Communauté Economique et Monétaire des Pays de l’Afrique Centrale).

Vous dites ci-dessus que la Malaisie établit des conditions pour bénéficier d’un régime favorable en matière d’acquisition de logements situé à l’étranger, quelles sont ces conditions ?

Deux conditions sont exigées en Malaisie pour bénéficier du régime favorable établi en matière d’acquisition de biens immeubles situés à l’étranger.

La première condition est que l’opération d’acquisition de biens immeubles situés à l’étranger doit être réalisée à partir de ressources propres des personnes concernées (sans emprunt intérieur) ;

 Quant à la seconde condition, elle réside dans le fait que l’opération précitée doit être réalisée à partir de ressources en devises générées par lesdites personnes.

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