Business & Politique: HORS-JEU!
ENTRETIEN Abdelhamid Souiri, Vice-président de la Commission de l’Agriculture et des secteurs productifs à la Chambre des conseillers.
Titre « Oui, on peut considérer la politique comme un métier »
Chapeau Voici un « Dossier tombé à l’eau » qui nous a contraints de marcher sur des charbons ardents et faire feu de tout bois pour recueillir les points de vue des chefs d’entreprises qui font la politique. Délier la langue aux habiles calculateurs est tout sauf une mince affaire. Une vingtaine de gros calibres ont été contactés. Résultat : Omerta totale, mais le terme est assez fort que nous préférions parler de silence radio! La « sensibilité » du sujet à l’épreuve d’une année 100% électorale pique du nez. Comprendra qui voudra : 1001 comptes avant de sortir du bois, surtout que la politique est considérée de nos jours comme une arme de séduction massive, au service du business. Une seule personnalité qui nous a répondu à temps et à laquelle nous devons tout le respect est notre interviewé, Président de la Fédération marocaine des industries métallurgiques, mécaniques et électromécaniques (FIMME).
Facile de faire en même temps la politique et le business ?
Rien n’est facile surtout quand on veut aborder ces deux mondes, a priori distants l’un de l’autre, le business d’un côté et la politique de l’autre. Les deux se complètent dans notre contexte quand on veut bien tenir compte de nos spécificités. Bien sûr, tout le monde n’est pas de cet avis au sein des élites économique et politique, pour des raisons essentiellement historiques, abordées par ailleurs de manière docte par des historiens et des économistes. Mais pour faire bref, nous pensons que le business est une obligation et la politique un devoir. Et tant que les politiques se cherchent pour se constituer en classe politique, le businessman aura toujours un rôle à jouer, non pour se substituer au politique, mais pour participer à une mutation qui débouche sur une stratification où chaque frange se suffirait de jouer le rôle qui lui est imparti. Vous voyez, nous sommes encore dans un modèle utopique, mais le Maroc a énormément changé, dans le cadre d’une démocratie et d’une nouvelle constitution qui apporte énormément aux libertés, dont celle d’investir sans trop de contraintes bureaucratiques. Mais il reste à trouver la bonne pédagogie pour que le business soit au service du politique et vice versa que le politique favorise l’intérêt de la collectivité en prenant la mesure de l’apport, réel, du businessman!
Peut-on considérer la politique comme un métier ?
Oui et il faut rappeler que nous avons eu droit, depuis l’Indépendance, à différentes expériences, inspirées des modèles socialiste et libéral. Avec les élites de la post-indépendance, on n’a pas réussi à mettre sur pied des institutions constitutionnelles capables de générer une véritable alternance. Tout en reconnaissant la suprématie de la monarchie et du rôle du Roi placé au-dessus du jeu politique et des partis politiques, pour assumer la mission d’Arbitre du jeu constitutionnel. On peut dire et regretter que les partis historiques n’ont pas su s’adapter à la réalité marocaine, où nous manquions de manière flagrante de culture politique condition sine qua non pour une pratique professionnelle de la politique et partant assurer une mutation vers la politique comme métier. Aujourd’hui on peut dire qu’on a énormément progressé à ce niveau. Avec cette spécificité qui assure une véritable union nationale et donc l’unanimité autour de l’intégrité territoriale du Royaume.
Qui tire l’autre : l’économique ou le politique ?
La problématique est à notre avis dialectique et il vous suffit pour cela de prendre connaissance des recherches portant sur l’accumulation du capital au Maroc depuis l’Indépendance. La confusion des genres n’a pas permis la naissance d’une véritable bourgeoisie, victime d’une caste politicienne qui a institué un système anti-développementiste. Aujourd’hui on peut dire que nous ne sommes plus dans la même configuration inégale de confrontation, mais de coopération équitable. En attendant que chaque frange sociétale s’assume, l’économique sur le plan financier et du patrimoine et le politique en tant producteur idéologique et relais de reproduction des élites, y compris et surtout celles engagées dans l’action politique.
Pensez-vous qu’un politique devrait être aussi un bon manager ?
C’est plus qu’indispensable, car on ne peut concevoir une élite politique sans culture managériale et, aussi, de communication. À l’époque de la globalisation et du « village monde » une classe politique foncièrement endogène est condamnée à se réformer ou à disparaître. D’où la contrainte objective qui impose qu’on soit initié aux systèmes de gestion modernes, inspirés des technologies d’avant-garde. Le Maroc vit à ce propos une mutation générationnelle de ses élites politiques, avec pour préoccupation stratégique la reconversion dans une nouvelle praxis politique en tenant compte de toutes les écoles européenne, anglo-saxonne, asiatique et arabe et aussi de nos spécificités nationales millénaires. Oui, un politique est à ce propos condamné à manager et à « se manager ».
N’y a-t-il pas un risque de confondre ses ambitions politiques et son business ?
Oui, le risque est réel et patent, mais il s’agit, à mon humble avis, de phase transitoire, car jusqu’à présent on a confondu les deux dans beaucoup de cas. Et le résultat ne fut pas toujours probant. On peut cependant constater qu’on a énormément évolué sur le plan de l’éthique aussi bien au niveau du business que du politique, désormais perçu sous un angle wéberien. Le Maroc est en mutation accélérée et il est sûr que cela se fait dans le bon sens avec les diverses expériences d’alternance, riches en leçons, initiées et soutenues par SM le Roi Mohammed VI.