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Le secret bancaire est-il absolu ou relatif ?

Par Saïd Naoui

Professeur Universitaire

« La confiance est le point anguleux de toute relation »

Le banquier est tenu légalement à une obligation de secret professionnel, mais au fil de l’histoire, depuis l’invention du secret professionnel, il s’émousse d’une année à l’autre. Chaque jour le secret bancaire se rétrécit devant de nouvelles dispositions législatives. Il n’est plus d’une construction monolithique, il souffre de nombreuses exceptions qui en limitent sa portée. En effet, les banques entre elles peuvent demander la communication des renseignements financiers sur la solvabilité et la moralité de certains clients. Et ce ne sont pas les banques seules qui peuvent demander ces informations, mais aussi l’administration fiscale et les organismes de sécurité ; parfois, même des juridictions pénales demandent par un communiqué des renseignements sur un client qui détient un compte bancaire chez une banque.

Ainsi, depuis le 26 octobre 2009 la Centrale risque, ou Crédit bureau, assure cette fonction. Créée le 23 octobre 2009 et gérée par Experian Maroc, elle a pour mission d’assurer la collecte et le traitement des données sur les engagements consentis par la clientèle des banques et organismes de financement, et la communication des réponses aux demandes de renseignements spécifiques des établissements de crédit. La collecte de ces informations doit être communiquée par les banques à la Centrale d’information de Bank Al-Maghrib. Celle-ci les retransmettra à son tour à la Centrale des risques en dépit de la volonté des clients, et sans leur accord express, sachant que le banquier est tenu de respecter le secret bancaire. Parmi ces informations, il y a un historique sur le crédit et son remboursement, une fiche signalétique et la situation financière du client.

Ceci entraîne une entrave au secret bancaire. C’est un partage mutuel des informations entre les différents organismes de crédit opérant au Maroc. Il faut signaler aussi que ce sont les opérateurs télécoms qui réservent des lignes spéciales pour les informations sensibles. Cet échange d’informations entre ces opérateurs et les banques détruit la discrétion qui est le fondement du secret bancaire et, par la suite détruit la confiance établie entre le client et sa banque, ce qui aurait un impact sur l’économie du pays puisque le client va abandonner ses opérations bancaires et fuir vers les valeurs matérielles.

Certes, Bank Al-Maghrib a le droit d’avoir accès aux données clients selon l’article 80 de la loi bancaire qui dispose que «…le secret professionnel ne peut être opposé à Bank Al-Maghrib et à l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure pénale». Mais le transfert de ces données à une entreprise privée n’a aucun fondement juridique et enfreint les dispositions de l’article 79 de la loi bancaire qui dispose que « toutes les personnes qui, à un titre quelconque, participent à l’administration, à la direction ou à la gestion d’un établissement de crédit, ou qui sont employées par celui-ci, …, et plus généralement, toute personne appelée, à un titre quelconque, à connaître ou à exploiter des informations se rapportant à ces établissements, sont strictement tenues au secret professionnel pour toutes les affaires dont elles ont à connaître, à quelque titre que ce soit, dans les termes et sous peine des sanctions prévues à l’article 446 du Code pénal». Cet article punit de l’emprisonnement d’un à six mois et d’une amende allant jusqu’à 20.000 DH, toute personne qui révèle un secret dont elle a été dépositaire par sa profession.

En l’absence de précision du texte, Bank Al-Maghrib a joué en sa faveur pour transmettre les informations des clients des banques à un organisme privé, sachant que ces informations sont recueillies dans l’intimité de la relation professionnelle qui lie le banquier à son client, fondée sur la confidence et la discrétion totales. C’est le client qui reste le maître du secret, c’est lui qui détermine son objet et son étendue dans les limites des lois en vigueur. La violation des bases de cette relation est une violation à la sphère privée de ce client, dont le non-respect est sanctionné civilement, notamment par l’octroi de dommages et intérêts ainsi que par toutes mesures destinées à faire cesser l’atteinte. «Ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé» (1). «La vie privée doit être murée», son inviolabilité ne constitue pas simplement un principe moral, c’est aussi une règle de droit, un bien juridique, elle est un attribut de la personnalité ; la loi la protège» (2). Toute violation du secret bancaire entraîne une responsabilité délictuelle ou contractuelle et engage également la responsabilité pénale des personnes concernées.

Il est vrai que le législateur a instauré des exceptions, mais elles sont limitées et doivent être justifiées. Le secret bancaire est inopposable à Bank Al-Maghrib, inopposable aux autorités judiciaires et, bien entendu, au client bénéficiaire de ce secret, mais il ne donne pas le droit à quiconque de déroger à ces exceptions pour satisfaire ses objectifs. Et même si certaines banques ont  pris l’habitude d’insérer dans les contrats de crédit une clause expresse de levée du secret bancaire, cette clause est considérée comme non valable, parce que le contexte du contrat ne donne pas au client une volonté libre pour exprimer son consentement. C’est un contrat d’adhésion.   C’est dans ce contexte que le secret professionnel du banquier est devenu relatif, car, si le banquier est un confident nécessaire au fondement de l’article 446 du Code pénal, il peut être convoqué pour témoigner devant le tribunal. Et il ne peut s’abstenir de dévoiler des secrets relatifs à son client sous prétexte du secret bancaire. Le secret est discret par définition et opère une mise à l’écart provisoire. On pourrait croire qu’il n’est jamais aussi préservé que dans le silence, à l’abri ainsi de toute indiscrétion. Le silence deviendrait le territoire du secret absolu et le mettrait hors de notre portée (3).

L’expression «secret professionnel» désigne le silence ou la discrétion auxquels sont tenus certains professionnels à l’égard de ce qu’ils apprennent sur la situation ou sur la vie privée de leurs clients dans l’exercice de leur profession. Il  n’a pas pour objet la protection du professionnel qui reçoit une information, mais plutôt la protection de la vie privée et des intérêts de la personne concernée. Son principe s’applique à l’ensemble des renseignements venus à la connaissance du banquier. C’est un concept enjoignant  à certains corps de métier de ne divulguer aucun renseignement concernant leurs activités ou leurs clients. Il est apparenté à la confidentialité.

Toutefois, dans la pratique quotidienne, les banquiers sont obligés parfois de livrer des renseignements concernant l’un de leurs clients à qui le demande selon les dispositions légales en vigueur. Mais, la levée du secret bancaire est une compétence judiciaire, c’est le juge qui est habileté à juger les motifs, les circonstances et à apprécier la nécessité de la levée du secret bancaire. En revanche, il est permis au banquier de diffuser des renseignements non confidentiels. Il peut donner toutes les informations soumises à publication. Il peut aussi émettre des appréciations globales telles qu’«échéances difficiles» ou «pas d’incidents de paiement»(4).

Le banquier est tenu à une discrétion absolue sous peine d’encourir diverses sanctions d’ordre civil et pénal. C’est une obligation de résultat relevant de l’ordre public. Cette obligation disparaît quand la révélation du secret est imposée par une disposition de la loi ou par un principe d’ordre public (contrôle fiscal, témoignage devant la Justice…). Il peut tomber sous le coup de la répression pénale s’il révèle une information couverte par le secret bancaire, sans aucune autorisation de la loi, notamment si l’information occupe une place primordiale dans la gestion des banques. Le banquier ne doit donc en principe livrer à personne les informations bancaires qu’il détient, hormis, bien entendu, son client, bénéficiaire du secret, qui peut consentir à sa levée, et cette obligation s’impose à tous ceux qui travaillent ou agissent pour le compte de la banque(5).

Néanmoins, le secret bancaire ne peut-être opposable à l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure pénale. Le banquier ne peut évoquer le secret bancaire pour s’abstenir de témoigner. Il en va de même, en cas de saisie-arrêt sur le compte d’un client, le banquier tiers saisi ne peut se retrancher derrière le secret bancaire pour refuser de communiquer la situation financière de son client. Ou encore, au cas où le juge rapporteur veut apprécier la situation économique du débiteur en vue de prononcer le redressement ou la liquidation judiciaire. Aucun secret bancaire ne peut être opposable à un magistrat rapporteur dans une affaire concernant une banque, ou un expert désigné pour cette fin. Il peut ordonner à l’établissement bancaire, pour le déroulement d’une affaire, de verser au dossier tout document utile à la résolution d’un litige judiciaire.

Pour les autorités fiscales, le banquier ne peut révéler les faits couverts par le secret bancaire que dans la mesure où la Justice ordonne une telle investigation. C’est d’ailleurs à l’égard de celui-ci que la discrétion du banquier est hautement appréciée par le client. Toutefois, le secret bancaire ne peut être respecté que dans le cadre de la protection de la liberté individuelle et de la vie privée. Il en est autrement lorsqu’il couvre des comportements illégaux. Il est d’une importance vitale pour la prospérité des places financières et ne peut être valablement défendu s’il constitue une source d’abus et d’activités illicites (6).

Toutefois, l’abolition du secret bancaire perturbe le système bancaire et les banques perdent l’objectif de leur existence. On relève à juste titre que «les réactions psychologiques qu’entraînerait une suppression du secret bancaire se traduiront, à l’évidence, par des réactions psychologiques entraînant un recours moins fréquent à la monnaie scripturale et une thésaurisation accidentelle… » Se libérer brusquement du secret bancaire constitue «un facteur important de déséquilibre, à l’égard duquel la politique monétaire sera pendant quelque temps dépourvue de moyens» (7). La violation du secret bancaire va sûrement entraîner, par la perte de confiance envers les établissements financiers, un retrait massif des dépôts qui constituent le produit du système bancaire. Et par conséquent il détruirait toute l’assise sur laquelle s’est édifié le secteur bancaire qui aura un impact direct sur l’économie du pays et sur la vie privée de chacun. La suppression du secret bancaire aurait des répercussions négatives sur l’économie du pays parce que  le public en grande partie  va abandonner ses relations bancaires puisqu’il n’aura plus confiance dans les banques. Certes, le secret bancaire est un facteur incontournable dans la vie des banques dans ses rapports avec ses clients, mais pas à tout prix.  Le but du secret professionnel est de protéger le client dans sa sphère d’intérêts personnels et privés les plus intimes et les plus légitimes. La vie privée doit être murée.

En conclusion, celui qui fraude ou qui enfreint la loi ne serait pas protégé par la loi, le secret bancaire étant instauré pour ceux qui respectent l’environnement juridique et qui mènent leurs activités dans la clarté et la transparence. Le secret bancaire doit exister et être renforcé au bénéfice du client en évitant toute utilisation abusive du secret bancaire, mais dans de nouvelles limites, et veiller à la préservation de sa bonne utilisation, car son abolition déstabilise et fragilise le système bancaire du pays. Il faut juger l’impact d’une telle décision sur l’économie nationale au vu de la crise financière mondiale. Tout en maintenant un équilibre entre l’intérêt public et l’intérêt des clients.

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(1)Article 9 du code civil français.  En droit marocain on peut fonder une telle action sur les articles 77 et 78 du code des obligations et des contrats.

(2) Citation rapporté par M. Auber, … dans : Le secret bancaire suisse, 1e éd, 1982, p. 32.

(3)Yves – Henri Bonello – Le secret professionnel – 1re  édition – Que sais-je ? 1998 p. 29.

(4) F. Dekeuwer-Défosser, Droit bancaire, 2e éd, 1987, Dalloz, p.22.

(5) R. Routier, Obligations et responsabilités du banquier, 2e éd, 2008, Dalloz, p.329.

(6) P. G. Morcos, le secret bancaire face à ses défis, Brylant, 2008, p. 423.

(7)Idem, p. 456.

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