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Youssef Baghdadi : « Mon ambition est de construire une banque éthique indépendamment de la religion »

Certains de vos confrères  sont contre cette appellation de banque ou finance islamique. Qu’en pensez-vous ?

Je tiens tout d’abord à vous rappeler que l’appellation islamique est celle utilisée de par le monde. Pourquoi islamique? Parce qu’elle puise tout bonnement ses pratiques,  ses contrats, son process et son fonctionnement dans les préceptes de la religion musulmane. D’ailleurs, elle est validée par le Conseil supérieur des Oulémas, qui est le garant de la mise en conformité avec la Chariaa. Maintenant, vous allez me dire pourquoi le Maroc a choisi l’appellation de finance participative. Tout simplement parce que son business model est construit sur la base d’un esprit participatif et éthique. La banque centrale en optant pour l’appellation finance participative a voulu que ces produits financiers soient destinés à tout le monde sans distinction de religion. Je peux même vous assurer qu’on a des clients non musulmans qui ont apprécié la Mourabaha par exemple.

Concrètement, le consommateur qui choisit la finance islamique, soi-disant, pour acheter sa maison remboursera au final la même somme voire un peu plus que dans le cas de prêter un crédit auprès des banques classiques. Qu’il y ait des intérêts (Ribâ) ou pas, c’est la même musique… ?

Je dois souligner que la banque participative ne prête pas de l’argent c’est-à-dire on ne donne pas de crédits. Ce qu’on fait ça s’appelle une transaction commerciale, on achète et on vend contrairement à la banque conventionnelle qui perçoit des intérêts et paie à son tour des intérêts à ses épargnants. La finance participative est basée sur un modèle économique et financier sans taux d’intérêt mettant en avant le principe de partage des profits et des pertes.

« À défaut de paiement à temps, les banques classiques appliquent des pénalités sur les reports d’échéances. Alors que chez nous, il n’y a pas d’intérêts ou de pénalités de retard de remboursement »

Mais vous cherchez vous aussi à optimiser le principe du risque-rentabilité… ?

Vous n’êtes pas sans savoir que nous ne sommes pas une association à but non lucratif. Nous exerçons des activités commerciales. À la différence des banques conventionnelles, la finance participative est une alternative établie sur le principe du partage du risque. Plus important, je vous invite à faire une comparaison au moment de la contractualisation de prêts. Concrètement, à défaut de paiement à temps, les banques classiques appliquent des pénalités sur les reports d’échéances. Alors que chez nous, il n’ y a pas d’intérêts ou de pénalités de retard de remboursement. Quand un de nos clients tombe dans une situation d’impayés, il bénéficie d’un différé de paiement à condition de présenter bien sûr les motifs de non-paiement. Le différé est fixé à 6 mois, mais il peut être allongé moyennant la présentation du justificatif de l’allongement. Je tiens à souligner qu’à défaut de présentation du motif d’incapacité de paiement, la banque participative réclame alors de plein droit le remboursement et engage des poursuites judiciaires. Finalement, la banque participative n’a le droit d’encaisser que ses dus c’est-à-dire les différents versements sans intérêts même si le client est litigieux ou de mauvaise foi.

Maintenant que vous êtes sur le terrain, observez-vous un engouement de la part des consommateurs?

Engouement! Le terme est un peu fort. Mais les gens viennent pour se renseigner, et ouvrir leurs comptes. Une chose qui m’a marqué plus c’est que les gens ont cette perception que banque islamique veut dire gratuité. L’engouement est une question de temps au fur et à mesure que le marché gagne en maturité.

Quid des produits financiers offerts?

Ça fait maintenant près de 3 mois  que nous sommes sur le marché. Nous ne sommes pas encore en mesure de proposer toute la gamme des produits vu qu’on n’a pas eu toujours l’aval de la banque centrale. Je cite par exemple les produits d’investissement, ceux concernant les transactions internationales…

« Pour les aspects fiscal et comptable, nous avons envoyé toutes nos recommandations à la banque centrale au titre du projet de loi de Finances 2018 »

Y a-t-il un échéancier?

La banque centrale travaille là-dessus et ça va venir progressivement. Pour des produits comme la Mourabaha Auto et Ijara, je pense que c’est dans un mois et demi. S’agissant des produits d’investissement, c’est prévu pour le premier trimestre 2018. Pour le reste, on n’a pas encore de visibilité.

Avez-vous une offre spécialement dédiée aux  TPME ?

Pour le moment non. Mais nous comptons déjà des TPME parmi notre portefeuille client. On leur propose un accompagnement progressif (salaires, utilisation du digital…). Seulement que nous ne sommes pas encore en mesure de répondre à leurs besoins de financement (BFR, trésorerie) pour les raisons que j’ai expliqué auparavant.

Les aspects comptable et fiscal ont été le parent pauvre de cette industrie… ?

Il faut dire qu’un groupement de 8 banques participatives a été créé auprès du groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM). Un comité composé de spécialistes se réunit chaque semaine avec les parties officielles concernées (ministère de tutelle et banque centrale) pour adapter aussi bien le cadre fiscal que comptable aux dispositions de la finance participative. Nous avons envoyé toutes nos recommandations à la banque centrale au titre du projet de loi de Finances 2018.

Avez-vous assisté à la naissance d’un plan comptable de banque participative ?

On a reçu le plan comptable et on espère l’introduction de tous les éléments propres à la finance participative au titre de la loi de finances 2018. 

Qu’en est-il de l’équité fiscale ?

Justement. C’est notre objectif, d’ailleurs, toutes nos recommandations vont dans le sens de ne pas favoriser les produits classiques et de les mettre sur le même pied d’égalité que ceux alternatifs. Pour le moment, la neutralité fiscale est assurée pour la Mourabaha et la Ijara.

Où en est le processus de mise en place de l’industrie de finance participative (Takaful, marché des capitaux, etc.) ?

Là, c’est une autre paire de manches. Mais, je pense que les travaux sont en cours…

Certains vous reprochent  l’allusion religieuse comme axe persuasif en publicité. Quelle est votre réponse ?

Au sein du GPBM nous avons un code éthique qui interdit ce genre de pratiques. Et si vous parlez de notre banque plus précisément, je dois vous souligner que nous n’avons communiqué que sur nos valeurs, qui sont des valeurs universelles, d’ailleurs. Ce sont des engagements pris vis- à-vis de notre clientèle. Et moi, mon ambition est de construire une banque éthique indépendamment de la religion.

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