Chine : Le péril jaune
C’est parti pour la politique du « tapis rouge » déroulée aux enfants de Mao. L’implantation près de Tanger du géant chinois de l’automobile à énergie nouvelle BYD permet de couper court à des rumeurs non fondées sur la future « Cité Mohammed VI Tanger Tech ». Mais pas seulement. L’installation au Maroc met à nu les discours sceptiques sur la délocalisation de «l’usine du Monde» vers l’Afrique. Une délocalisation qui a pour objectif la préservation des intérêts nationaux de l’empire du milieu, en l’occurrence, produire à plus bas coût. Mieux encore, le type d’investissement et le pays d’accueil sont finement choisis.
Pour la simple raison que les chinois- avant tout pragmatiques-, réfléchissent à deux fois avant d’intervenir. Faut-il pour autant avoir peur des investissements chinois? Pour bien comprendre l’enjeu stratégique de l’implantation du mastodonte BYD, et d’autres en devenir, il faut savoir qu’il s’agit d’une délocalisation complémentaire et non concurrentielle aux deux constructeurs automobiles français que sont Renault et PSA Peugeot-Citroën. Ce dernier a été d’ailleurs accueilli à bras ouverts en 2014 par DongFeng dans le cadre d’une opération de sauvetage. Le chinois devenu actionnaire à 14 % avait marqué sa présence au tour de table de PSA Peugeot-Citroën, qui était, alors, au bord de la faillite. Un deal qui n’a pas manqué de nourrir les spéculations sur le rapprochement France-Chine.
« Il s’agit d’une délocalisation complémentaire et non concurrentielle aux deux constructeurs automobiles français que sont Renault et PSA Peugeot-Citroën »
Avant de mettre les pieds au Maroc, le constructeur de véhicules électriques BYD a déjà signé en France au mois de mars dernier un accord pour la mise en place d’une usine de bus électriques opérationnelle au premier semestre 2018 pour un total de 10 millions d’euros. Alors qu’au Maroc, aucune information n’a été communiquée sur le montant des investissements de BYD, ni sur la date de mise en service des sites de production. Pour réorienter son modèle de développement économique basé sur la production manufacturière et les exportations, la Chine a commencé à délocaliser certaines productions en Afrique pour préserver son avantage compétitif des bas salaires.
Dans le cadre de sa stratégie de conquête, le péril jaune alterne investissements directs et prises de participation ou rachats d’actifs. Plus de 200 milliards d’acquisitions à l’international sont annoncées par les chinois depuis début 2016, trois fois plus qu’en 2015. Qui dit mieux! Sachant que la Chine est devenue la 1ère économie au monde détentrice de réserves de change, avec plus de 3.000 milliards de dollars. Le doute étant permis, cette manne laisserait-elle présager une offre amicale sur l’OCP ou d’autres fleurons nationaux ?
« Outre l’investissement annoncé du constructeur automobile BYD, d’importants investissements suivront dans des secteurs clés, tels les TIC, le Textile, la Chimie-Parachimie… »
Plutôt que de réagir à chaud, il faut dire que le Maroc est à l’abri des principales sources de risques et sait parfaitement jusqu’où faut-il laisser la porte ouverte aux chinois. Certes, le solde de la balance commerciale profite largement aux chinois(le déficit commercial du Maroc s’élève à plus de 35 milliards de dirhams).
Toutefois, le tableau de chasse montre une dépendance commerciale nulle à l’égard de la Chine contrairement à bon nombre de pays africains (cf tableau). Une carte que le Maroc pourrait brandir face aux approches commerciales chinoises. C’est aussi un gage d’influence au moment de la signature des contrats. Tout investissement devrait être conditionné au transfert de technologie. Le ministre de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy, est très attendu sur ce point crucial, d’ailleurs. Lui qui a avoué ouvertement qu’associer le transfert de technologie aux investissements directs étrangers n’est pas aussi évident que l’on puisse imaginer. « Il ne faut pas trop rêver… », confesse-t-il. Optant pour un modèle fondé sur de faibles coûts salariaux qu’à une croissance plus qualitative. Et là, une question prend tout son sens : la hausse des IDE profite-t-elle réellement au Maroc ? Une question qui confirme les inquiétudes sur le low-cost comme nouvelle stratégie industrielle. Quoi qu’il en soit, le choix stratégique du Maroc de suiveur n’est pas sans bénéfices. Son rapprochement stratégique avec la 1ère économie exportatrice mondiale dénote d’une posture de visionnaire.
« Le secret du futur c’est la capacité d’anticipation en abandonnant une politique basée sur la réactivité. Le secret du présent c’est d’accepter la réalité d’aujourd’hui pour s’en servir comme tremplin », explique Alain Juillet, Président de l’académie de l’intelligence économique en France. La Chine sera dans les 5 ou 10 années à venir la première puissance économique mondiale. Le renminbi n’est-il pas en passe de devenir la principale monnaie de réserve mondiale? Les enfants de Mao sont sur le point de libéraliser leur marché du pétrole en créant des contrats à terme du pétrole brut libellés en yuans. « Le pays ambitionne de faire évoluer sa chaîne de valeur globale, dans le cadre de sa stratégie « Made in China 2025 ».
Les initiatives existantes telles que l’initiative « One Belt One Road » (Une ceinture, une route) ont pour objectif de dynamiser la connectivité régionale et de réduire les coûts des transactions. Non seulement cette démarche peut potentiellement dynamiser les exportations vers la Chine mais elle pourrait également faciliter le commerce intra régional et avec les régions avoisinantes au Moyen-Orient et en Europe », détaille les analystes de l’assureur-crédit Coface. Le Maroc l’a bien compris et cherche sans relâche à attirer ne serait-ce qu’une partie infime des investissements directs chinois en Afrique estimés à plus de 100 milliards de dollars. Il joue sur la carte de Hub continental au vu de son positionnement stratégique et sa situation géographique au carrefour des grands axes des échanges européen, méditerranéen et africain.
A vrai dire, le Maroc mise gros sur la stratégie chinoise de délocalisation de 85 millions d’emplois à l’étranger. Outre l’investissement annoncé du constructeur automobile BYD, d’importants investissements suivront dans des secteurs clés, tels les TIC, le Textile, la Chimie-Parachimie…Du pain béni porteur de croissance et d’emploi, certes. Mais il faut rester vigilant face au pragmatisme chinois qui joue avec brio le caméléon !